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Rapatriement des crânes des résistants algériens : une cérémonie, un réveil mémoriel
Les restes mortuaires des 24 résistants algériens conservés, depuis plus d'un siècle et demi, au Musée d'histoire naturelle de Paris.

13h10. L'Hercules C-130 des Forces aériennes algériennes s'est posé dans un fracas d'hélices alors que s'est élevée, sur le tarmac surchauffé par un soleil de plomb, la voix de l'officier militaire présentant le déroulé de la cérémonie : « Bienvenue à vous, héros, bienvenue dans votre terre ». L'avion fera encore un tour au-dessus de la capitale alors qu'ont fusé des youyous des balcons algérois? L'assistance a été comme tétanisée alors que diminuait peu à peu le vacarme de l'Hercules transportant depuis la France les restes mortuaires des 24 résistants algériens conservés, depuis plus d'un siècle et demi, au Musée d'histoire naturelle de Paris.

Accueil solennel

Les trois avions de chasse Sukhoï qui ont accompagné l'Hercules dès son entrée dans l'espace aérien algérien ont refait un passage en rase-motte, des parachutistes ont sauté sur le tarmac de l'aéroport Houari Boumediène avec des drapeaux algériens déployés. Les canons de la garde républicaine et des bâtiments de guerre de la marine ont tiré des salves. Pas de doute, les autorités ont vraiment soigné l'accueil officiel des dépouilles des chefs résistants comme Chérif Boubaghla, mort en 1854, Cheikh Bouziane, chef de la révolte des Zaatchas, fusillé puis décapité en 1849, ou Si Mokhtar ben Kouider al-Titraoui. « Tous privés depuis plus de 170 ans du droit naturel et humain d'être inhumés », pour reprendre les termes du président Tebboune la veille.

Les cercueils ont été portés par des jeunes cadets de la nation, élèves des écoles préparatoires militaires, marchant au pas sous le rythme du roulement des tambours. De la descente de l'avion, ils ont entamé une lente procession devant les unités de divers corps d'armée qui ont rendu les hommages, pour arriver au hall d'entrée de la salle d'honneur de l'aéroport où les ont attendus les hauts responsables civils et militaires, Abdelmadjid Tebboune à leur tête. Ce dernier, dernière son masque de protection, était ému aux larmes?

« Objet de chantage »

La veille, il avait annoncé le retour des dépouilles tout en précisant : « Le rapatriement des restes mortuaires des autres chouhada [martyrs] déportés post-mortem suivra, car l'État est résolu à mener à bout cette entreprise pour réunir tous nos chouhada sur cette terre qu'ils ont tant chérie et pour laquelle ils ont sacrifié ce qu'ils avaient de plus cher, leur vie ». Selon le ministère des Moudjahidine (anciens combattants), 31 crânes ont été déjà identifiés jusqu'en janvier 2019. L'opération s'est poursuivie et une commission technique d'experts algériens a été mise en place pour procéder à l'identification des crânes de ces résistants algériens. Les cercueils recouverts de drapeaux algériens ont ensuite été déposés dans la grande salle de réception du Salon d'honneur. Là un imam a récité la Fatiha du Coran, suivi par le discours du chef d'état-major de l'armée, le général de corps d'armée Saïd Changriha, qui a déclaré, notamment que « ces héros restés plus d'un siècle et demi dans les sous-sols du colonisateur ont été l'objet de chantage de la part de lobbys résidus de la colonisation et racistes ».

Hommage populaire...

Les dépouilles seront ensuite acheminés au Palais de la culture sur les hauteurs d'Alger pour les exposer au public jusqu'à vendredi. L'enterrement aura lieu dimanche 5 juillet au Carré des Martyrs dans le cimetière d'El Alia où reposent de grandes figures de l'histoire algérienne, comme l'Emir Abdelkader dont les restes ont été rapatriés de Damas en juillet 1966 par le président Houari Boumediène .

Pour rappel, c'est à l'initiative de l'historien algérien Ali Farid Belkadi qu'une pétition a été lancée en mai 2001 pour exiger la restitution des crânes des combattants algériens. Cet appel avait été lancé un an après le vote, par le Parlement français d'une loi exigeant la « restitution [à la Nouvelle-Zélande] de toutes les têtes maories détenues en France ». L'universitaire et écrivain algérien Brahim Senouci avait également lancé un nouvel appel pour que soient restituées les « têtes des résistants algériens détenues par le Musée de l'homme », afin que leur pays les honore, avec cette fois un écho nettement plus large.

... et travail de réveil mémoriel

En 2017, une autre pétition a relançé le débat. Il a été signé par des intellectuels algériens et français à l'instar des historiens Benjamin Stora, Mohammed Harbi et Malika Rahal ou encore l'écrivain Didier Daeninckx. « Soutenir les appels de citoyens algériens à rapatrier ces dépouilles dans leur pays, pour leur donner une sépulture digne comme cela fut fait pour les rebelles maori ou les résistants kanak Ataï et ses compagnons [en 2014], ne revient aucunement pour nous à céder à un quelconque tropisme de ''repentance'' ou d'une supposée ''guerre des mémoires'', ce qui n'aurait strictement aucun sens. Il s'agit seulement de contribuer à sortir de l'oubli l'une des pages sombres de l'histoire de France, celles dont l'effacement participe aujourd'hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française », lit-on dans cet appel. La même année (2017), le secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM), Saïd Abadou, a répété, à l'occasion de la célébration de la Journée nationale de l'immigration, la nécessité d'exiger des autorités françaises des excuses au peuple algérien, l'indemnisation pour les richesses spoliées durant la période coloniale et la restitution des crânes des anciens combattants « pour les inhumer dans les cimetières de chouhada [martyrs] en Algérie ».

Ethnocentrisme et racisme

Commentant la conservation des crânes des résistants algériens dans un musée français, le sociologue Hassan Remaoun, a estimé que la séquestration de ces ossements humains, pendant une si longue période, n'était pas « une prise de guerre mais un crime absolu contre l'humanité », qualifiant cet acte de « morbide et criminel ». « L'Anthropologie physique occidentale, empreinte à l'époque d'ethnocentrisme et de racisme, avait besoin de ces reliques pour ''prouver'' la supériorité physique et morale de ''l'homme blanc'' et, donc, sa prédisposition à déployer une mission civilisatrice à travers le reste du monde », a déclaré le chercheur à l'agence officielle APS. Il cite notamment le cas des « Hereros namibiens qui, après avoir subi un véritable ethnocide, ont vu leurs ossements transportés en Allemagne, pour étayer à travers de prétendues études scientifiques, des théories qui contribueront à ouvrir la voie au nazisme ».

Et de conclure : « les ossements de l'époque coloniale n'ont plus la même signification en ce début du XXIe siècle où les statues des esclavagistes et des généraux coloniaux ont tendance à être déboulonnées dans leur pays d'origine même (?).Toujours est-il que, tout en se débarrassant de pièces à conviction flagrantes témoignant du passé colonial de leur pays, les autorités françaises ont sans doute donné à cette action les allures d'un geste en direction de notre pays, et il sera possible de l'accepter comme tel s'il est suivi par d'autres à l'avenir ».

Source: Le Point