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Comment le « New York Times » prouve que l’aviation russe a visé des hôpitaux syriens en mai
Comment le « New York Times » prouve que l’aviation russe a visé des hôpitaux syriens en mai

35 36 00.69 36 36 28.06. Cette suite de numéro n’est pas aléatoire : ce sont des coordonnées. Elles désignent l’hôpital syrien Nabad Al-Hayat, sis dans la ville de Haas, en plein cœur de la région d’Idlib. Huit minutes après qu’une voix prononce en russe ces chiffres sur la fréquence radio utilisée par l’aviation de Moscou, celle du pilote d’un Soukhoï-34 répond, à 14 h 40, le 5 mai, « srabotal » – « c’est fait ». L’hôpital, construit sous terre pour éviter ce genre d’attaque, est aussitôt touché quasi simultanément par trois bombes, dont l’explosion est filmée par un témoin qui se tient à quelques kilomètres de l’établissement, vidé trois jours plus tôt à la suite de rumeurs de frappes imminentes.

Cette attaque contre un établissement de santé, bien que considérée comme un crime de guerre au regard du droit international, n’est pas rare en Syrie, rendue exsangue par huit ans d’une guerre meurtrière. Cinquante-quatre hôpitaux et cliniques ont été attaqués en zone rebelle entre la fin avril et la mi-septembre, selon l’Organisation mondiale de la santé. Au moins sept d’entre eux avaient communiqué leurs coordonnées à l’ONU, pour être répertorié comme zone d’exclusion humanitaire.

Si l’aviation russe est fréquemment soupçonnée d’être à l’origine de ces frappes d’une précision impliquant un savoir-faire et un matériel militaire supérieurs à celui de l’armée syrienne, personne n’avait jusqu’à présent réussi à prouver l’implication du Kremlin dans ces crimes. La Russie et la Syrie ont d’ailleurs toujours démenti viser des installations civiles, assurant ne vouloir s’en prendre qu’à des groupes « terroristes ». Mais, samedi 12 octobre, le New York Times a publié une vaste enquête, accompagnée d’une vidéo, prouvant pour la première fois que l’aviation russe a commis, pour la seule journée du 5 mai, quatre attaques contre des hôpitaux syriens.

Quatre éléments recoupés

Comment les journalistes américains sont-ils parvenus à établir la preuve de cette responsabilité du Kremlin ? Dans son article, le quotidien américain explique avoir recoupé quatre différents éléments pour mettre en lumière la responsabilité des bombardements de cet hôpital syrien :

un registre du trafic aérien observé dans le ciel syrien. Réalisé par des observateurs sur le terrain, souvent missionnés par des ONG, celui-ci consigne et décrit tous les vols d’avions militaires observés dans le ciel syrien depuis plusieurs mois (modèle de l’appareil, date, heure et localisation de l’observation) ;des enregistrements audios, qui font entendre les communications radios de l’aviation russe. On peut y entendre les conversations entre les pilotes des avions de chasse russe et les opérateurs aériens qui leur donnent les consignes de vol. Dans son making of de l’enquête, l’équipe précise qu’il s’agit de « dizaines de milliers d’heures d’enregistrement inédites », sans citer leur source afin de protéger sa sécurité ;une analyse des types d’armes utilisées réalisé avec le concours de spécialistes de l’arsenal militaire russe ;des indices permettant d’établir un schéma temporel de l’attaque, à savoir les témoignages des équipes médicales, les signalements sur les réseaux sociaux ou encore les rapports d’accidents rédigés par les responsables hospitaliers.

Code décrypté

Pendant des semaines, les journalistes ont essayé d’établir des liens entre chacun de ces éléments, et notamment de traduire et décrypter les mots-clés utilisés par les pilotes et les opérateurs aériens dans leurs échanges. Avant chaque attaque, la conversation était ainsi basée sur le même schéma :

l’opérateur donne des chiffres correspondant à des coordonnées géographiques ;le pilote confirme la réception des coordonnées en disant « colis reçu » ;le pilote confirme que la cible est bien visée avec les mots « correction reçue » ;le pilote calcule la minute où il lancera sa frappe ;l’aiguilleur donne le feu vert ;le pilote confirme le lancement (« srabotal », « c’est fait » en russe).

Le scénario décrypté par les journalistes américains se reproduit scrupuleusement dans chacune des quatre attaques menées le 5 mai.

Ainsi, l’hôpital Kafr Nabl, également situé dans la province d’Idlib, est frappé quatre fois en dix-huit minutes ce jour-là. Le registre des vols confirme que des avions russes ont été observés dans le ciel syrien ce jour-là et dans cette région. La conversation audio reprend le même déroulé : à 17 h 30, 17 h 35, 17 h 40 et 17 h 48, le pilote russe prononce le mot « srabotal ». L’attaque fera un mort et de nombreux blessés. L’atmosphère dans l’hôpital, également souterrain, est rendue irrespirable par les poussières, témoignent directement les médecins présents sur place.

En Syrie, une opération humanitaire franco-russe à la tonalité très politique

« Nous constatons avec regret qu’une publication aussi sérieuse est victime des manipulations de terroristes et des services secrets britanniques », a réagi le général Igor Konachenkov, le porte-parole du ministère de la défense russe, cité dans un communiqué. « Les prétendues preuves fournies par le NYT ne valent même pas le papier sur lequel elles sont imprimées », a-t-il lancé. En août, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a annoncé l’ouverture d’une enquête interne sur les bombardements d’hôpitaux.

Source: Le Monde