Le Kenya fait un pas de plus dans la lutte contre l'évasion fiscale. Fin novembre, l'ambassadrice kényane en France, Judi Wakhungu, a signé, lors de la 10e réunion annuelle du Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales, une convention multilatérale dédiée. Objectif : mettre fin à l'évasion fiscale des entreprises multinationales, de plus en plus nombreuses à s'installer dans le pays est-africain.
Le Kenya fait un pas de plus dans la lutte contre l'évasion fiscale. Fin novembre, l'ambassadrice kényane en France, Judi Wakhungu, a signé, lors de la 10e réunion annuelle du Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales, une convention multilatérale dédiée. Objectif : mettre fin à l'évasion fiscale des entreprises multinationales, de plus en plus nombreuses à s'installer dans le pays est-africain. Cette signature, qui s'ajoute aux 90 autres juridictions ayant adhéré à cet accord, permettra au Kenya d'intégrer des initiatives de collaboration internationale sur le sujet, pour, entre autres, « prévenir l'érosion de l'assiette fiscale et le transfert des bénéfices », a fait savoir Judi Wakhungu. Grâce à cette convention élaborée en 1988 par le Conseil de l'Europe et l'OCDE, le pays « montre la volonté de protéger sa base d'imposition contre le chalandage fiscal », explique une experte en fiscalité. Et opère également une remise à plat des 14 conventions bilatérales signées auparavant avec d'autres États.
Malgré des retombées positives, celles-ci n'ont pas permis jusqu'ici au Kenya de réellement lutter contre les stratégies d'évitement de l'impôt. D'après la Kenya Revenue Authority, Nairobi a déjà perdu 53 milliards de shillings dans des affaires d'évasion fiscale – relatives aux entreprises et aux particuliers – au cours du nouvel exercice ouvert en juillet 2019. Sur la radio kényane Capital FM, le commissaire chargé des enquêtes fiscales et de l'application des lois, David Yego, a indiqué que cet argent provient, en majorité, de 118 affaires portées devant les tribunaux. « L'évasion fiscale est très large », a-t-il reconnu, en avouant par là même ne pas savoir le montant exact de la fraude.
Quels moyens de lutte ?
Pourtant, depuis quelques années, le pays s'efforce de trouver les moyens adéquats. Pour lutter contre l'évasion fiscale des particuliers, la Banque centrale du Kenya (CBK) a opéré le remplacement des billets de 1 000 shillings kényans (9 euros), des coupures souvent utilisées lors de délits financiers. L'opération, d'une durée de quatre mois, visait entre autres à lutter contre la monnaie illicite, l'évasion fiscale et le blanchiment d'argent. Le Kenya est également signataire de la Déclaration de Yaoundé, qui appelle, avec d'autres pays africains, à une collaboration resserrée entre les différentes institutions – telles que l'Union africaine, la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique et les Communautés économiques régionales – autour de la question de l'évasion fiscale.
En effet, à l'aune de la mise en place de la zone de libre-échange continentale (Zlec), le Kenya ne peut livrer ce combat seul. Les accords et les initiatives multipartites sont donc privilégiés. En juin 2017, lors de la conférence du « Partenariat G20 Afrique », le Kenya s'allie à l'Allemagne, à l'Italie et à l'OCDE pour mettre sur pied l'Académie africaine d'enquête sur les délits fiscaux et financiers. Le but est de renforcer les connaissances des enquêteurs sur les délits fiscaux et financiers, et de leur apprendre à détecter les stratégies des fraudeurs, toujours en évolution. Cette école d'un nouveau genre est aujourd'hui basée à Nairobi, hébergée par la Kenya School of Monetary Studies (KSMS).
Un manque à gagner pour toute l'Afrique
D'autres efforts, à l'échelle internationale, permettent de lutter contre ce fléau auquel sont confrontés tous les pays d'Afrique. L'Initiative Inspecteurs des impôts sans frontières (IISF), créée en 2015 là aussi par l'OCDE et le Pnud, a permis de recouvrer sur deux ans 244,2 millions d'euros supplémentaires auprès des multinationales. La résolution permet aux pays victimes de fraudes de demander l'avis d'experts étrangers. Des agents des Pays-Bas sont, par exemple, venus prêter main-forte aux inspecteurs kényans dans la lutte contre l'évasion fiscale des firmes transnationales horticoles, un secteur pilier de l'économie des deux États. Cet échange de bons procédés se fait également à l'intérieur du continent : des agents kényans ont, par exemple, travaillé de concert avec leurs homologues botswanais, de même pour les analystes nigérians au Liberia.
Une entraide nécessaire en Afrique, où « chaque année, entre 40 et 80 milliards de dollars [34 et 68 milliards d'euros environ] de taxes échappent au continent selon les estimations », déclarait en 2017 Tommaso Faccio, secrétaire général de la Commission indépendante pour la réforme de l'impôt international sur les sociétés (Icrict), lors d'une conférence à Nairobi. Car les délits financiers se répercutent inévitablement sur les économies des pays concernés, ce sont finalement les populations qui en subissent, de plein fouet, les conséquences.
« Lorsque les entreprises mondiales et les super-riches se dérobent à leurs responsabilités fiscales, ce sont les populations les plus pauvres qui perdent le plus. Car il reste alors aux gouvernements la possibilité de réduire les dépenses essentielles nécessaires pour lutter contre les inégalités, la pauvreté et le changement climatique, entre autres, ou de combler le déficit en augmentant des taxes telles que la TVA, qui frappe plus durement les citoyens ordinaires, explique l'Icrict dans un rapport. L'impact de l'évitement de l'impôt sur les sociétés est encore plus fort pour les pays en développement, puisqu'ils sont plus dépendants de l'impôt sur les sociétés que les pays développés ». Une raison de plus pour les pays africains de suivre l'exemple kényan.