Dans une note de blog, le deuxième homme le plus riche du monde s’est prononcé pour un alourdissement de la fiscalité pesant sur «les plus chanceux», avançant des arguments financiers et éthiques.
«Et de l’argent, il y en a! Dans les caisses du patronat!» Et si ce slogan, souvent entendu dans les manifestations françaises, avait inspiré l’un des hommes les plus riches du monde? Dans une note publiée sur son blog à la veille du nouvel an, Bill Gates a appelé les autorités américaines à renforcer la fiscalité pesant sur les plus fortunés, afin de réduire les inégalités criantes aux États-Unis comme ailleurs dans le monde. «Je suis conscient que des inégalités massives séparent encore les chanceux des autres, partout sur le globe, et que je bénéficie d’immenses privilèges du fait de cette inégalité», écrit-il notamment.
Focalisant son message sur la question des inégalités, le fondateur de Microsoft revient notamment sur le système fiscal américain, modifié en profondeur par l’actuel occupant de la Maison-Blanche, Donald Trump. «On m’interroge beaucoup sur mes impôts. Je comprends pourquoi», explique Bill Gates, qui dit lutter depuis plusieurs années «pour un régime fiscal plus juste»: une idée qui passe non par une réduction des impôts, mais bien par un alourdissement ciblé.
«Le gouvernement américain ne récolte simplement pas assez d’argent pour remplir ses engagements», justifie Bill Gates, avant d’ajouter que les dépenses continuent d’augmenter, renforçant le problème. Dans le même temps, précise-t-il, «l’écart de richesse se creuse», devenant «beaucoup plus marqué qu’il y a cinquante ans»: «j’ai été récompensé de manière disproportionnée pour le travail que j’ai accompli, tandis que beaucoup d’autres qui travaillent tout aussi dur ont du mal à s’en sortir», regrette l’homme d’affaires.
«Nous pouvons rendre notre système plus équitable»
Dans ces circonstances, Bill Gates appelle à alourdir considérablement l’impôt des plus fortunés, et formule quelques propositions pour construire un système fiscal plus équitable. D’abord, une hausse des taxes pesant sur le capital, au niveau de celles sur le travail, l’homme d’affaires ne voyant «aucune raison de privilégier la richesse sur le travail». Selon lui, la fiscalité pesant sur les successions devrait aussi être revue, afin de battre en brèche le «système dynastique» actuel: «transmettre une grande richesse à vos enfants n’est bon pour personne, la prochaine génération ne se retrouve pas avec les mêmes incitations à travailler dur», considère-t-il, avant de rappeler que le couple Gates donnera l’écrasante majorité de sa fortune à sa fondation plutôt qu’à ses enfants. Le magnat conseille ensuite de revoir les systèmes fiscaux de chaque État américain et de mettre fin à plusieurs systèmes dont profitent les plus fortunés pour éviter de payer des impôts.
En outre, Bill Gates se montre sceptique quant à un «laisser-faire» qui consisterait à faire confiance aux plus fortunés pour qu’ils donnent davantage d’argent aux pouvoirs publics sur la base du volontariat. «Les gens paient des impôts car c’est une obligation légale et citoyenne, pas par charité», balaie-t-il d’un revers de main. Et de renchérir: «des dons supplémentaires sur la base du volontariat ne ramèneront jamais assez d’argent» pour financer toutes les actions du gouvernement. Des modifications doivent donc être apportées, plaide-t-il. En parallèle, il pousse également à faciliter les dons des plus fortunés aux fondations, afin de renforcer l’action de ces dernières, complémentaires des gouvernements.
«Le pays doit réfléchir en profondeur à la manière dont les impôts élevés devraient être encore augmentés», afin de remettre d’aplomb le modèle américain, considère l’ancien homme fort de Microsoft. «Nous pouvons rendre notre système plus équitable sans sacrifier l’incitation à innover», en augmentant les impôts des plus riches, en revoyant «la manière dont ils sont collectés mais aussi comment ils sont dépensés», conclut-il.
Un débat brûlant aux États-Unis
Les propos de Bill Gates s’inscrivent dans une réflexion en cours aux États-Unis autour de la fiscalité pesant sur les grandes fortunes. Favorisées par l’administration Trump, qui leur a accordé une «tax reduction» dans sa réforme des impôts afin de renforcer les investissements, la consommation et l’activité économique, ces élites sont aujourd’hui sous le feu des projecteurs dans le cadre de la campagne du parti démocrate. À l’échelle locale comme lors des débats fédéraux, plusieurs élus se sont prononcés pour un alourdissement de la fiscalité pour des raisons éthiques, financières et politiques. La sénatrice Elizabeth Warren a ainsi défendu l’instauration d’une taxe sur les «ultra-millionnaires», de l’ordre de 2% par an au-delà de 50 millions de dollars et 3% au-dessus d’un milliard, jugeant qu’il était «temps pour les riches de payer leur juste prix».
Par le passé, Bill Gates s’est montré plutôt défavorable à ces idées: «J’ai payé plus d’impôts que quiconque, mais je suis heureux de le faire - si je devais payer 20 milliards de dollars, ça irait, mais si vous dites que je devrais payer 100 milliards de dollars, alors je commence à faire un petit calcul sur ce qui me restera…», avait-il déclaré il y a quelques mois. Il a, depuis, mis de l’eau dans son vin, se montrant plus ouvert à cette idée. Cette fois-ci, l’homme d’affaires, membre du «Giving pledge» - un groupe de milliardaires promettant de faire don d’au moins la moitié de leur fortune à des associations - ne prend pas position sur les propositions des candidats à la primaire démocrate, préférant se concentrer sur ses sujets phares, comme le «changement climatique».
En juin 2019, plusieurs milliardaires, dont l’homme d’affaires George Soros, le cofondateur de Facebook Chris Hughes et l’héritier de l’empire Disney ont publié une lettre demandant aux candidats à la présidentielle 2020 aux États-Unis d’appuyer la mise en place d’une «taxe modérée sur les fortunes» des individus les plus riches. «Les États-Unis ont la responsabilité morale, éthique et économique d’imposer plus lourdement notre fortune», écrivaient les signataires, qui appelaient à utiliser l’argent rassemblé grâce à cet impôt pour «faire face à la crise climatique, à améliorer l’économie, à améliorer le système de santé», par exemple.