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Franc CFA: Le Nigeria affiche sa prudence
Alors que le géant d'Afrique de l'Ouest est confronté à d'immenses défis, l'annonce de l'abandon du CFA par ses voisins de l'Uémoa est observée avec une attention accrue.

Après le Ghana, c'est au tour du Nigeria et de son gouvernement de réagir à la suite de l'annonce de l'abandon du franc CFA par les huit pays de la zone Uémoa. En effet, le 21 décembre dernier, les présidents français Emmanuel Macron et ivoirien Alassane Ouattara ont annoncé une réforme du franc CFA, qui devrait être remplacé d'ici à 2020 par l'éco. Pour l'instant, le projet concerne huit pays francophones d'Afrique de l'Ouest. Le but, à terme, est d'étendre cette monnaie aux 15 membres de la Communauté des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao). Mais le Nigeria, qui représente 60 à 75 % du PIB de la Cédéao, voit cette annonce avec beaucoup de prudence. « Le gouvernement se penchera sur le changement opéré par l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), au sujet de l'éco, qui devra constituer la monnaie unique de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest [Cédéao] », a notamment déclaré, à Abuja, le conseiller spécial pour les médias et la communication du ministre des Finances, du Budget et de la Planification nationale, Yunusa Abdullahi. Une manière de dire que l'annonce faite le 21 décembre dernier semble quelque peu précipitée, alors que le géant insiste pour sa part sur les critères de convergence qui devront être établis et respectés de tous les pays de la Cédéao adhérents à l'éco. À savoir un déficit budgétaire qui n'excède pas les 3 %, une inflation de moins de 10 % et une dette inférieure à 70 % du PIB. Or à ce stade, seul le Togo répond à ces exigences. Pourtant, l'idée de la monnaie unique pour la région de l'Afrique de l'Ouest a été évoquée pour la première fois il y a près de 30 ans dans l'espoir de stimuler le commerce transfrontalier et le développement économique.

D'après plusieurs articles citant des médias locaux, le Nigeria exigerait cinq « conditions non négociables » avant son adhésion à la monnaie unique. Certains évoquent particulièrement les dépôts au Trésor français d'une partie des réserves de change de la future monnaie commune. Concernant ce point, il est déjà question de la fin de cette garantie dans la réforme proposée le 21 décembre dernier. Toujours selon la presse nigériane, Abuja exigerait aussi la gestion de l'éco par la Cédéao elle-même, sans oublier son impression en Afrique et non en France.

Question de leadership

Pour Jihin Ibrahim, un politicien et activiste nigérian qui s'exprimait sur Twitter, « les huit pays du CFA ne peuvent mener l'intégration monétaire alors qu'ils ne représentent que 21 % du PIB de l'Afrique de l'Ouest et 32 % de la population. Le Nigeria représente à lui seul environ 66 % du PIB de la Cédéao et 55 % de sa population. Le Nigeria seul peut jouer un rôle de chef de file dans la création de l'éco ». Le débat est très vif au Nigeria. En effet, s'il est vrai que le pays, tout comme le Ghana, attendait une réforme d'envergure du franc CFA, il reste méfiant quant à la parité fixe qui subsistera entre l'éco et l'euro. Plusieurs experts et économistes ont lancé un appel officiel au gouvernement afin qu'il ne se précipite pas pour adopter l'éco. Interrogés par le quotidien nigérian The Punch, ils ont déclaré qu'une telle décision ne serait pas bénéfique pour le Nigeria à l'heure où de nombreux pays de la Cédéao « n'avaient pas encore satisfait aux critères de convergence fixés pour l'union monétaire ». L'économiste nigérian Sheriffdeen Tella a déclaré au micro de The Punch que « les pays francophones ont toujours été sous union monétaire et il est donc assez facile pour eux de remplir certains de ces critères ». « Le gouvernement fédéral ne devrait pas l'étudier seul, il devrait le faire avec d'autres pays anglophones ensemble. Le pays devrait se réunir avec des petits pays comme le Liberia, la Sierra Leone, la Gambie et tenir une réunion et déterminer le bon moment pour rejoindre l'éco. » Il a aussi déclaré que si le Nigeria avait un marché énorme et représentait la plus grande économie de la région, le gouvernement fédéral devrait proposer un programme d'industrialisation de cinq à dix ans pour lui permettre de profiter des avantages de l'union monétaire. Pour d'autres, l'arrimage à l'euro est problématique. Ils proposent que le naira soit la monnaie de référence de la future zone d'intégration de l'éco.

L'Uémoa bien en avance

Le directeur général de la chambre de commerce et d'industrie de Lagos, le Dr Muda Yusuf, a pour sa part déclaré que l'adoption de l'éco par les pays francophones d'Afrique de l'Ouest était un signal d'alarme pour le Nigeria et les pays anglophones. « Dix-neuf ans après, la sous-région est toujours aux prises avec les phases préliminaires de l'intégration économique, qui sont la zone de libre-échange et l'union douanière », a-t-il déclaré. Pour l'analyste nigérian Samuel Ibeh, « plus nous fermons les frontières, plus nous nous fermons au leadership économique de la région », évoquant la fermeture de la frontière terrestre nigériane avec ses voisins depuis août, prise pour lutter contre la contrebande.

Outre ces questions, le pays s'interroge d'autant plus qu'il devra abandonner le naira, et donc une grande partie de son autonomie monétaire, au profit de la nouvelle banque centrale régionale. La Banque centrale du Nigeria devra cesser d'imprimer sa propre monnaie ou de fixer des taux d'intérêt, deux outils importants de politique monétaire. Finalement, analyse Tokunbo Afikuyomi Jr., éditorialiste pour le journal économique Stears Business,« compte tenu de l'état du naira, l'échanger contre l'éco pourrait bien être une bonne affaire », écrit-il dans un long article consacré à la question de l'éco. Actuellement, poursuit-il, « le naira peut être échangé à près de six taux différents. Pendant ce temps, il reste de la confusion quant à savoir si la monnaie est fixe, flottante ou autre. La nouvelle union monétaire peut assurer la coordination et faire évoluer l'Afrique de l'Ouest vers un système de taux de change sain, facilement convertible à l'échelle internationale. »

Source: Le Point