C’est un bel exemple de sérendipité, ce type de hasards qui sert la science de façon inattendue… Un enfant souffrant d’une maladie neurologique orpheline a, malgré lui, apporté aux médecins la preuve qu’un traitement efficace pouvait se cacher dans... une simple tasse de café! En se trompant au détour d’un linéaire de supermarché, la famille a réalisé rien moins qu’«un essai clinique en double aveugle fortuit et en vie réelle», racontent ses médecins, neurologues à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, dans les Annales de médecine interne.
Vers ses 3 ans, le petit garçon avait commencé à souffrir de mouvements involontaires du visage et des membres supérieurs, qui duraient de quelques secondes à une dizaine de minutes. L’origine des crises n’avait pas été élucidée, mais elles étaient allées en augmentant jusqu’à atteindre 30 épisodes par jour. À 11 ans, l’enfant pouvait difficilement faire du vélo, et était très handicapé dans des activités comme l’écriture, le sport ou la marche à pieds, entravant sa vie quotidienne et sa scolarité.
Une analyse génétique a finalement permis de lever le mystère: le génome de l’enfant présentait une mutation du gène ADCY5, connue pour provoquer ces dyskinésies. «C’est une maladie très rare, avec au maximum une vingtaine de patients connus en France», explique au Figaro le Pr Emmanuel Roze, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et chercheur Inserm/CNRS. Une maladie pour laquelle n’existe aucun traitement, si ce n’est... le café, indiquent les chercheurs: «Parmi les patients chez qui nous avons diagnostiqué cette mutation, un père et sa fille (...) nous ont dit qu’ils pouvaient prévenir leurs épisodes de dyskinésie en buvant du café.»
Les médecins ont donc prescrit la boisson à l’enfant, un conseil bien accepté par les parents, originaires de Madagascar où le café est communément utilisé comme médicament, tant chez les enfants que chez les adultes. Le traitement a démarré avec 1 tasse d’expresso le matin, avec «une réponse spectaculaire au bout de 45 minutes, et qui a duré 7 heures», indiquent les chercheurs. Une seconde tasse dans l’après-midi, puis une dernière au coucher, ont suffit à éliminer presque totalement les crises chez l’enfant, lui permettant de vivre à nouveau normalement. «Six de mes patients sont actuellement traités comme ça», explique le Pr Roze, qui indique également l’avoir recommandé à 2 malades à l’étranger pour qui des confrères avaient sollicité son avis. «Mais ça n’est pas un traitement officiellement recommandé, parce que l’efficacité est très compliquée à démontrer.»
Or, une erreur des parents du jeune garçon a permis d’augmenter le niveau de preuve. Sans s’en apercevoir, ils ont un jour acheté des dosettes de décaféiné à la place du café habituel. Les mouvements anormaux «ont immédiatement réapparu, à leur fréquence et sévérité d’origine», indiquent les auteurs. Informé du retour des symptômes, Emmanuel Roze raconte s’être «arraché les cheveux pour comprendre ce qui se passait!». Il aura fallu quatre jours aux parents pour réaliser leur erreur et réintroduire du café caféiné… et les mouvements anormaux de disparaître à nouveau.
«La caféine est la drogue la plus consommée dans le monde, ce qui signifie que nous connaissons déjà beaucoup de choses sur ses effets et sa sécurité, même chez les enfants», écrivent les auteurs, qui estiment que sa prescription doit désormais être envisagée chez tous les patients atteints d’une dyskinésie liée au gène ADCY5. «Même si on avait le cas d’un bébé diagnostiqué avec cette maladie, je lui administrerais du café», explique le Pr Roze à l’AFP. Les médecins parisiens disposent même d’une explication logique à l’efficacité de la caféine: la mutation génétique modifie l’activité d’une enzyme qui, dans le cerveau, est couplée à des récepteurs cibles de la caféine. «Utiliser la caféine comme antagoniste de ces récepteurs, ce qui inhibe [l’enzyme en question], a du sens pour réduire les mouvements anormaux» associés, écrivent les auteurs. «C’est une hypothèse», précise Emmanuel Roze, «mais c’est la plus probable». Le café ne peut être efficace que dans cette forme précise de dyskinésie, mais «cela nous fournit un indice que moduler cette voie neuronale permet de moduler les mouvements anormaux, le même modèle pourrait donc être utilisé dans d’autres dyskinésies», indique le neurologue.
Reste à confirmer, de façon contrôlée et chez un plus grand nombre de patients, l’essai clinique involontairement mis au point par cette famille. «Nous avons déposé un projet de recherche, précise Emmanuel Roze, mais il faudra trouver assez de patients.» Or ce type d’essai représente un certain nombre de contraintes pour les malades, qui doivent accepter notamment d’alterner la prise du produit et d’un placebo. Or «ça marche vraiment très bien, donc certains ne veulent absolument pas arrêter le café», explique le Pr Roze. Quant au financement de cette future étude, il risque d’être compliqué, note le neurologue. «Vous imaginez bien qu’il n’y a là absolument pas d’argent à gagner pour les laboratoires...»