Le “grand dialogue national” voulu par le président Paul Biya a été lancé lundi au Cameroun pour tenter de mettre un terme au conflit meurtrier entre Yaoundé et des séparatistes anglophones dans l’Ouest, mais ses chances d’aboutir sont minces en raison de l’absence des principaux leaders sécessionnistes.
Devant une salle comble, le Premier ministre Joseph Dion Ngute a proposé aux participants d‘être “de véritables artisans de la paix” lors des cinq jours prévus pour le Grand dialogue à Yaoundé, qualifiant de “pas insolubles” les “préoccupations” qui opposent les deux parties.
Les combats, mais aussi les exactions commises sur les civils par les deux camps, dans les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où vit la plus grande partie de la minorité anglophone du Cameroun (16%), ont déjà fait plus de 3.000 morts en moins de trois ans, selon le groupe de réflexion International Crisis Group (ICG).
Depuis 2017, des revendications sociales des populations anglophones, qui s’estiment lésées par rapport aux huit régions francophones, se sont muées en un conflit meurtrier entre des groupes indépendantistes armés radicalisés et les forces de sécurité de l’Etat, resté sourd aux revendications.
Certains anglophones exigent le retour au fédéralisme alors que d’autres réclament la partition du pays. Deux scénarios rejetés par le président Biya.
Absences sécessionnistes Après avoir fait preuve d’intransigeance depuis sa réélection en octobre 2018, le chef de l’Etat, 86 ans dont près de 37 au pouvoir, avait annoncé mi-septembre ce “grand dialogue national” à Yaoundé.
L’annonce de ce dialogue a suscité l’espoir d’anglophones modérés, comme l’influent archevêque de Douala, le cardinal Christian Tumi.
“J’ai l’espoir qu’en sortant d’ici quelque chose de bien commence à se passer”, a-t-il déclaré à l’AFP après le discours du Premier ministre.
Présent au premier rang à l’ouverture du Dialogue, le cardinal siège à côté de John Fru Ndi, président du Social Democratic Front (SDF, premier parti d’opposition à l’Assemblée nationale).
“Je suis heureux que certains jeunes soient sortis de la forêt et soient venus discuter”, a dit l’opposant à l’AFP.
Une vingtaine de jeunes ex-combattants anglophones, vêtus aux couleurs du drapeau camerounais, sont montés sur scène pour souligner “la marginalisation dont (ils sont) victimes sur (leurs) propres terres” avant le discours du Premier ministre.
Mais l’opposant historique n’a pas le soutien des séparatistes, et a d’ailleurs été enlevé à deux reprises par les sécessionnistes dans le Nord-Ouest en avril et en juin.
Du côté des anglophones plus radicaux, Mark Bareta, très actif sur les réseaux sociaux, était présenté par Yaoundé comme celui qui a montré le plus d’ouverture.
Mais M. Bareta a annoncé vendredi ne pas participer à ce dialogue, affirmant que “la seule façon de mener de véritables négociations était de le faire sur un terrain neutre”.
“Grand dialogue de sourds” Parmi les seize leaders séparatistes anglophones conviés au dialogue et qui pour beaucoup se trouvent à l‘étranger, des chefs de groupes armés, comme Ebenezer Akwanga et Cho Ayaba, ont annoncé leur refus d’y participer.
Avec ce dialogue, le Cameroun veut jeter “de la poudre aux yeux de la communauté internationale”, a déclaré au téléphone à l’AFP M. Akwanga.
La plupart de ces leaders ont réaffirmé leur volonté de discuter avec le gouvernement, mais demandent que les négociations se déroulent en présence d’un médiateur international, à l‘étranger et que les termes de la séparation soient le principal point à l’ordre du jour.
Lundi, dans les kiosques de Yaoundé, le bihebdomadaire Repères, plutôt favorable au pouvoir, affirme en une “Ca passe ou ça casse!”, tandis que l’anglophone Eden, qui titre aussi sur le dialogue, demande: “Va-t-il faire le succès ou la ruine du Cameroun?”. Le journal Intégration, lui, affiche en une: “Grand dialogue de sourds à Yaoundé”.
A proximité du Palais des Congrès, les badauds étaient partagés entre scepticisme et espoir. “Je ne sais pas quelle importance on peut accorder à ce que les gens vont dire dans ce dialogue alors que les gens se font tirer dessus” dans les régions anglophones, affirme Joseph, habitant de Yaoundé et originaire de l’Ouest.
“Nous voulons le retour de la paix. Il suffit seulement qu’on donne la possibilité à tout le monde de s’exprimer”, espère pour sa part Mitterrand Enoh, lui aussi anglophone résident de Yaoundé.