INGÉRENCE: Interprétées comme un message de soutien au président algérien, les déclarations d'Emmanuel Macron ont fortement irrité l'opposition algérienne.
Les déclarations du président Emmanuel Macron au magazine Jeune Afrique concernant la situation politique en Algérie a suscité plusieurs réactions, notamment chez les partis politiques de l'opposition.
Dans une interview au magazine, publiée le 20 novembre dernier, le président français a déclaré : « Je ferai tout ce qui est en mon possible pour aider le président Tebboune dans cette période de transition. Il est courageux (?) On ne change pas un pays, des institutions et des structures de pouvoir en quelques mois. »
M. Macron ajoute : « Il y a eu un mouvement révolutionnaire, qui est toujours là, sous une forme différente. Il y a aussi une volonté de stabilité, en particulier dans la part la plus rurale de l'Algérie. Il faut tout faire pour que cette transition réussisse. Mais il y a un facteur temps important. »
Messages positifs après une série de mini-crises
« Il y a aussi des choses qui ne sont pas dans nos standards et que nous aimerions voir évoluer », a nuancé le chef de l'État français, allusion faite aux arrestations de militants du hirak et à la situation des médias critiquée par les ONG algériennes et internationales. « Je ne suis jamais dans l'invective ni dans la posture du donneur de leçon. L'Algérie est un grand pays. L'Afrique ne peut pas réussir sans que l'Algérie réussisse », a-t-il précisé.
Ces messages positifs interviennent après des mois de tensions entre Alger et Paris : les autorités algériennes s'offusquaient, publiquement et en off, de la prudence française vis-à-vis de l'agenda du pouvoir à Alger. On se souviendra de l'échange peu amène, et indirect, entre Macron qui s'était contenté de « prendre note » de l'élection, le 12 décembre 2019, du nouveau président algérien, et de la réaction de ce dernier : « Je ne lui répondrai pas (?) moi j'ai été élu par le peuple algérien et je ne reconnais que le peuple algérien. » Une semaine plus tard, le 17 décembre, tout semblait rentrer dans l'ordre quand Macron appelle son homologue algérien, lui souhaitant ses « v?ux sincères de succès ».
Et malgré d'autres échanges téléphoniques, des mini-crises éclataient entre les deux pays, comme à l'occasion de la diffusion, par France 5 fin mai dernier, d'un documentaire sur le hirak et la jeunesse algérienne provoquant le rappel par Alger de son ambassadeur à Paris.
Mais les récentes déclarations du président français semblent aller dans le sens d'un soutien franc à son homologue algérien, hospitalisé en Allemagne depuis le 28 octobre à la suite de son infection par le Covid-19.
« La France post-coloniale est une partie de notre problème »
Pour une partie de l'opposition algérienne, ces nouveaux éléments de langage ne passent pas.
« (Emmanuel Macron) s'autorise à délivrer une attestation de confiance au chef de l'État. Il affirme être prêt à l'aider dans cette période qu'il qualifie de transition. Ceci n'est pas une simple ingérence mais la révélation que la France est aux manettes d'une feuille de route pour notre pays », écrit sur sa page Facebook Mohcine Belabbas, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, laïc).
« Monsieur Macron, ce sont précisément les interventions répétées de la France officielle dans les choix souverains des pays africains qui posent problème. La France post-coloniale est une partie de notre problème en plus de faire partie d'un passé douloureux pour l'Algérie et l'Afrique. L'Algérie et l'Afrique ne peuvent se complaire dans un statut de subalterne au service d'intérêts néocoloniaux », poursuit l'opposant.
De son côté, l'opposante Zoubida Assoul, présidente de l'Union pour le changement et le progrès (qui fait partie avec le RCD du Pacte pour l'alternative démocratique, PAD), critique également les déclarations du président français : « La France soutient Tebboune alors qu'il est malade ? Pourquoi souhaite-t-elle rééditer l'expérience après avoir soutenu Bouteflika malade lors de son quatrième mandat ? Parce que la France défend ses intérêts. N'est-ce pas là une atteinte à la souveraineté de l'Algérie. »
La France « raciste »
Elle rappelle aussi les récentes déclarations du chef de la diplomatie Jean-Yves Le Drian, en visite à Alger mi-octobre, qui commenta le référendum du 1er novembre ainsi : « Le président Tebboune a affiché ses ambitions de réforme des institutions pour renforcer la gouvernance, l'équilibre des pouvoirs et les libertés. Il appartient aux Algériens, et à eux seuls, de traduire les aspirations qui se sont exprimées avec civisme et dignité en une vision politique avec des institutions aptes à la concrétiser. »
L'ex-détenu politique Karim Tabou, président de l'Union démocratique et sociale (parti non agréé), va plus loin, qualifiant la France de « raciste » : « Une France qui ne veut pas accepter que dans ce pays puissent émerger des forces démocratiques, une jeunesse émancipée, une jeunesse qui est capable de défier le sous-développement », rapporte El Watan.
Le même journal reprend la réaction du Parti socialiste des travailleurs (PST) : « L'attitude politique de Macron, qui réaffirme publiquement son soutien indéfectible au régime algérien actuel, annonce de grandes concessions économiques, politiques et sécuritaires au profit de l'impérialisme, et ce, aux dépens de notre souveraineté et de nos intérêts économiques. »
Les islamistes du Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance Frères musulmans) ont également exprimé leurs critiques par la voix de Nacer Hamdadouche, député et membre de la direction du parti : « La France officielle qui souffre d'une terrible rétrogradation sur la scène de la domination internationale (?) ne trouve à faire que retourner à son arrière-cour, ses anciennes colonies, pour s'y ingérer comme si la France ne reconnaît ni l'indépendance ni la souveraineté de ces pays. »
« Pensée néocoloniale »
« Ces messages conviviaux entre les présidents algérien et français ne nous honorent pas et nous inquiètent », poursuit le député islamiste, appelant les autorités algériennes à « prendre une position forte contre l'ingérence française ».
« Ce qui est à relever est que Macron opère un lien clair entre la dynamique du hirak et l'actuel nouveau pouvoir qui en serait la continuité en quelque sorte, c'est un changement de paradigme de grande importance qui finalement épouse le processus du système algérien qui dit vouloir accomplir une révolution interne », soutient un haut cadre de l'État.
« Tout en se défendant d'être un donneur de leçon, Macron nous fait un cours sur une supposée transmutation du mouvement populaire, sur sa nature fragmentaire citadine, sur le temps long de la transition et donc la patience que cela appelle, etc. », écrit l'éditorialiste Mustpaha Hammouche sur Liberté, ajoutant : « Hier, il nous appelait à nous libérer des fantasmes d'une décolonisation mal assimilée, aujourd'hui, il nous délivre un pur extrait de la pensée néocoloniale. »