Trente ans après la tenue de la Conférence nationale qui a ouvert la voie au multipartisme au Bénin, le président Patrice Talon a défendu son bilan, notamment en matière de libertés individuelles et des réformes politiques et constitutionnelles récentes.
« C’était le point de départ, le point zéro. » Trente ans jour pour jour après le début de la Conférence nationale souveraine, qui a ouvert la voie au multipartisme au Bénin et fut une influence majeure pour celles qui se sont ensuite déroulées au Gabon, au Mali ou encore au Niger, Patrice Talon, tout en affirmant vouloir en « préserver les acquis », s’est montré très critique sur le chemin parcouru depuis par son pays.
« Trente ans ont passé. Et quand on fait le bilan de notre évolution et de ce que nous avons fait de notre pays, est ce que l’on peut être fier du parcours ? Du résultat ? Tout le monde reconnait que nous manquons de tout », a-t-il lancé, mercredi soir, face aux journalistes Gaston Yamaro et Marie-Andrée Johnson.
Pour marquer l’anniversaire de cet événement « fondateur de tous les espoirs » au Bénin, Patrice Talon s’est plié à l’exercice d’une longue interview – une « causerie» -, enregistrée au Palais de la Marina et diffusée sur les antennes de la télévision nationales, les radios publiques et les multiples canaux de diffusion numérique de la présidence.
Face aux critiques
Environ une heure d’échanges, au cours desquels le président s’est employé à défendre son bilan, près d’un an après les violences postélectorales qui ont suivi les législatives auxquelles aucun parti d’opposition n’avait été autorisé à participer, et à quelques semaines d’un scrutin communal crucial dans la recomposition de la scène politique béninoise.
« Les réformes sont difficiles, parfois un peu pénibles », a notamment concédé le président béninois. Mais s’il affirme qu’il « est bien de faire attention aux critiques », il insiste immédiatement sur sa volonté de « ne pas s’y arrêter ».
JE N’AI PAS L’IMPRESSION QUE NOUS AVONS PERDU LA LIBERTÉ DE FAIRE CE QUI EST PERMIS ET COMPATIBLE AVEC L’INTÉRÊT GÉNÉRAL
Interrogé sur les accusations d’instrumentalisation de la justice à l’encontre des opposants – le nom d’aucun d’entre eux ne fut mentionné explicitement au cours de l’entretien télévisé – , Patrice Talon a réfuté toute « sélectivité » dans les poursuites engagées ». « Je n’ai de compte à régler avec personne », a-t-il martelé.
« Des gens qui ont été très actifs, qui ont œuvré à mon arrivée dans la fonction (…) ont dû répondre de leur actes », en veut pour preuve le président béninois. Interrogé sur le « climat de peur » que ces poursuites ont provoqué dans le pays, Patrice Talon assume : « Avoir la crainte de la reddition des comptes, pour moi, ce n’est pas quelque chose de contraire à une nation moderne, organisée, de démocratie et de liberté. »
Libertés individuelles et intérêt général
Sur les craintes de restriction des libertés publiques, et en particulier de la liberté d’expression et des droits de la presse, un débat qui fait rage au Bénin depuis la condamnation du journaliste Ignace Sossou à 18 mois de prison pour « harcèlement » envers un procureur pour une série de tweets, Patrice Talon est resté ferme.
« Je n’ai pas l’impression que nous avons perdu la liberté de faire ce qui est permis et compatible avec l’intérêt général. On a peut-être perdu la liberté de faire impunément, ce qui n’est pas compatible avec l’intérêt général », a-t-il notamment déclaré.
« Pourquoi ne serait-il pas possible de porter plainte contre un journaliste lorsqu’il porte préjudice à quelqu’un ? », a-t-il continué, avant de justifier la dureté du code du numérique – dont plusieurs points font polémique : « On ne sait plus ce qui relève des médias, de la presse professionnelle et ce qui relève de l’activisme. »
Réformes politiques assumées
Sur le plan politique, également, Patrice Talon assume les réformes profondes engagées depuis son arrivée au pouvoir. « La réforme du système partisan n’a pas remis en cause le multipartisme », a-t-il insisté, défendant cependant la nécessité de réduire le nombre de partis afin de leur assurer une « taille critique », au nom, notamment, de l’unité nationale. « Est-ce qu’un parti qui veut conquérir le pouvoir, peut n’être le parti que d’un quartier, d’une région ou d’une ethnie ? », a-t-il déclaré.
Sur la révision constitutionnelle de novembre dernier, Patrice Talon, qui avait tenté par deux fois, sans succès, de procéder à des modifications de la Constitution pendant la première moitié de son mandat, a laissé la porte ouverte à des modifications ultérieures : « C’est une troisième tentative de toilettage de la Constitution, et il y en aura d’autres. Une Constitution n’est pas inscrite dans le marbre et qui ne peut changer quelles que soient les générations, l’époque et les réalités. »