Après avoir été tenue à l'écart durant des années, l'Afrique est-elle en train d'inverser la vapeur dans l'approche de la résolution de la crise libyenne ? Il semble, en tout cas, qu'elle accélère le tempo. Après Brazzaville fin janvier, plusieurs dirigeants africains et représentants des institutions internationales se sont retrouvés à Oyo, dans le nord du Congo autour du président Denis Sassous Nguesso qui dirige le comité de haut niveau de l'Union africaine sur la Libye. Objectif : ouvrir la voie à la tenue d'un forum de réconciliation nationale inter-libyen.
Après avoir été tenue à l'écart durant des années, l'Afrique est-elle en train d'inverser la vapeur dans l'approche de la résolution de la crise libyenne ? Il semble, en tout cas, qu'elle accélère le tempo. Après Brazzaville fin janvier, plusieurs dirigeants africains et représentants des institutions internationales se sont retrouvés à Oyo, dans le nord du Congo autour du président Denis Sassous Nguesso qui dirige le comité de haut niveau de l'Union africaine sur la Libye. Objectif : ouvrir la voie à la tenue d'un forum de réconciliation nationale inter-libyen.
Cela fait des années que l'Afrique appelle de ses v?ux à une telle rencontre qui permettrait aux Libyens de se réapproprier les termes du débat et d'imaginer ensemble des solutions. Une feuille de route avait été adoptée à l'issue du dernier sommet de l'UA. Il était donc question de poursuivre les discussions techniques autour des préparatifs concrets de la future conférence. Ont été évoqués : le mode de désignation des membres de la commission préparatoire, l'évaluation de son budget et l'identification de ses sources de financement. On sait d'ores et déjà qu'elle se tiendra en juillet 2020 à Addis-Abeba, dans la capitale éthiopienne et siège de l'UA.
Caractère inclusif
Pour le président Sassou avant d'imaginer la forme que devra prendre la rencontre, il faut d'abord la doter d'une instance qui sera chargée d'élaborer les détails. Le plus important c'est le caractère inclusif de l'approche. Il faut aller « à une composition équitable de cette instance, chaque acteur concerné, y compris les chefs des tribus et des villes, les femmes et les jeunes, devant se reconnaître dans cet organe, levier incontournable de la renaissance libyenne » a insisté le chef d'État congolais. Et l'Union africaine a fort à faire puisque la Libye est un pays divisé en une myriade de structures pour l'organisation de la société. Longtemps, Mouammar Kadhafi a su composer avec ces différentes strates, notamment les clans et les tribus. D'ailleurs, pour de nombreux Libyens, l'appartenance à un clan vient loin devant le fait d'être citoyen d'un pays. La rencontre d'Oyo est la deuxième que le Congo abrite depuis le sommet de Berlin sur la Libye organisé en janvier. Mais toujours sans les Libyens. Les conseillers du président congolais affirment que si les Libyens étaient absents de cette conférence, certains des relais issus des communautés sont régulièrement consultés.
Parvenir à un accord politique
Avec la polarisation du conflit depuis 2015 entre le Gouvernement d'union nationale libyen (GNA) de Fayez al-Sarraj, reconnu par l'ONU et basé à Tripoli, et un pouvoir incarné par l'homme fort de l'est libyen, le maréchal Khalifa Haftar, il est devenu difficile de voir au-delà de ces deux protagonistes. Ce que déplore l'Union africaine, qui ne veut plus de cette approche clivante et qui met de côté les populations. En pleine séance, le président tchadien Idriss Déby Itno a mis les pieds dans le plat : « L'ensemble des protagonistes, sans distinction aucune, doivent être conviés à des pourparlers directs », a déclaré le chef de l'État tchadien selon qui « plus l'échéance est retardée, plus les ennemis de la paix aux agendas cachés attisent le feu au point de conduire à fragmenter la Libye en plusieurs entités », a-t-il averti. « Toutes les parties libyennes doivent de toute urgence s'engager à appliquer le cessez-le-feu et par la suite ?uvrer pour parvenir à un accord politique », a insisté le président sud-africain, soulignant que « seuls les Libyens doivent décider de l'avenir de leur pays ». « Il est temps de réunir le peuple libyen pour qu'il se réconcilie », a réitéré le Premier ministre algérien, dont le pays avait proposé d'accueillir le dialogue interlibyen.
L'entrée en jeu de nouveaux acteurs n'a fait qu'aggraver ces inquiétudes : la Russie soutient Khalifa Haftar (appuyé notamment par l'Égypte) et la Turquie, alliée du GNA, a envoyé des militaires dans le pays. Les forces du maréchal Haftar ont lancé en avril 2019 une offensive pour tenter de s'emparer de Tripoli. Plus de 280 civils et 2 000 combattants ont été tués, selon l'ONU. Quelque 146 000 Libyens ont dû fuir les combats. Une situation qui interpelle le Groupe de contact qui « renouvelle sa ferme condamnation de l'ingérence extérieure, de la violation de l'embargo sur les armes, la présence, l'envoi et l'utilisation des combattants extérieurs en territoire libyen. En outre, le groupe de contact condamne sans équivoque la poursuite de telles ingérences essentiellement motivées par les intérêts nationaux et le pillage des ressources naturelles libyennes », peut-on lire dans le communiqué final.
La voix de l'Afrique enfin entendue ?
La réunion d'Oyo intervient après la démission du représentant spécial des Nations unies en Libye, Ghassan Salamé, dont les efforts ont été loués par les présidents africains. Mais pour de nombreux experts, c'est surtout l'occasion pour l'Afrique de peser dans le choix du futur émissaire. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a déjà appuyé la proposition de l'UA d'organiser un grand dialogue inter-libyen de réconciliation. Il ne manque plus qu'à trouver un consensus autour d'un nom. Il apparaît de plus en plus probable que cette mission revienne effectivement à un « Africain », car le nom de l'ex-ministre algérien des Affaires étrangères Ramtane Lamamra revient avec instance ces derniers jours. À 67 ans, Ramtane Lamamra est un diplomate très expérimenté qui a été à la tête de la diplomatie algérienne de 2013 à 2017. Plusieurs fois ambassadeur, il a été médiateur dans plusieurs conflits africains, notamment au Liberia, sous les auspices de l'ONU et de l'Union africaine (UA). Il serait alors amené à travailler avec son compatriote, Smaïl Chergui, le commissaire à la paix et à la sécurité de l'UA. En attendant dans un communiqué publié mercredi soir, Antonio Guterres a annoncé la désignation de l'Américaine Stephanie Turco Williams pour assurer l'intérim « jusqu'à la nomination d'un successeur à Ghassan Salamé ». Adjointe politique de l'émissaire pour la Libye depuis 2018, celle-ci a plus de 24 années d'expérience dans les affaires internationales, a relevé le chef de l'ONU. Elle était aussi autour de la table des discussions à Oyo ce jeudi. En fonction depuis juin 2017, l'émissaire de l'ONU en Libye, le Libanais Ghassan Salamé, a démissionné le 2 mars pour des « raisons de santé », au moment où le processus politique est plus que jamais dans l'impasse. Pendant près de trois ans, il a tenté en vain de convaincre les belligérants d'unifier les institutions de l'État et d'organiser des élections en vue de mettre fin aux divisions dans le pays. Pour l'Union africaine, l'enjeu est de taille, mais galvanisée par son succès récent dans la résolution de la crise au Soudan, ayant abouti à une transition politique.