La star de la musique africaine Manu Dibango aura passé une grande partie de sa vie à faire valoir ses droits sur le titre Soul Makossa, régulièrement piraté par l’industrie du disque américaine.
Papy Groove n’est plus. Le saxophoniste camerounais Manu Dibango est décédé brutalement, victime du Coronavirus. Il avait 86 ans. Le 18 mars son affection avait été rendue publique sur sa page Facebook, sans que ses fans imaginent alors que ce colosse, cette force de la nature, puisse être à son tour terrassé. Du fait des règles du confinement, ''les obsèques auront lieu dans la stricte intimité familiale, et un hommage lui sera rendu ultérieurement dès que possible'', indique la famille, dans son communiqué. Manu Dibango laisse deux fils - Michel, James - et deux filles Malva et Georgia. Ces dernières années c’est sa nièce Claire qui s’occupait particulièrement de ses affaires.
Dans les années soixante, c’est en France que Manu Dibango grandit comme musicien accompli. D’abord comme accompagnateur de gens comme Nino Ferrer, avant d’exploser comme leader. Au début des années 70, dépositaire d’un univers de fusion musicale entre influences africaines et pop occidentale, le grand Manu ne tarde pas à attirer l’attention de l’industrie américaine. C’est en particulier un DJ David Mancuso, précurseur de la disco, qui va donner à connaître sa musique à travers un titre notamment, Soul Makossa, acheté en import chez un disquaire de Manhattan. Le titre électrise, mettant littéralement le feu sur la piste du Loft, club mythique new-yorkais, berceau de l’underground. Dans la foulée, Manu est invité à jouer en première partie des Temptations à l’Apollo, l’antre de la musique noire dans le quartier de Harlem. Une flopée d’artistes veulent jouer sur scène avec lui, adaptent Soul Makossa dans diverses versions, salsa y compris. Manu Dibango commence à gagner grassement sa vie.
A sa sortie en 1972, la chanson était pourtant passée inaperçue au départ, puisqu’elle n’était que la face B du 45 tours officiel de la Coupe d’Afrique des Nations composé par Manu à la demande du président camerounais. Et puis dix ans plus tard, Michael Jackson s’en mêle : sur son album de tous les records, Thriller (105 millions d’exemplaires vendus à ce jour) la chanson Wanna Be Startin’ Somethin’ utilise note pour note le refrain entêtant de Soul Makossa. Sans jamais créditer Manu Dibango comme son auteur-compositeur. En découvrant ce vol, Dibango tombe des nues. Procès. Il va durer quatre années et aboutir en 1986 à un accord financier : le saxophoniste renonce à ses droits et à figurer dans les crédits de la chanson en échange d’une indemnisation millionnaire en francs, vraisemblablement autour de 20 millions. En contrepartie, l’accord stipule, et c’est très important, que toute utilisation ultérieure de la chanson nécessitera l’autorisation de Manu Dibango…
Peine perdue. En 2007, Michael Jackson autorise Rihanna à sampler Wanna Be Startin’ Somethin’ pour son single Please, Don’t Stop The Music. Une fois encore, Papy Groove va tomber de sa chaise en l’apprenant, mais décide aussitôt d’assigner en référé au Tribunal de Nanterre les maisons de disques des deux stars, afin que soient bloqués en France les droits d’auteurs. Deux ans plus tard, Le 17 février 2009, le juge parisien des référés juge la plainte irrecevable. Apprenant aujourd'hui a nouvelle de la disparition du musicien, son avocate, Maître Laurence Goldgrab rappelle à Gala.fr que de manière incompréhensible la justice française n’a pas souhaité appliquer alors le droit moral français. “Nous aurions pu nous pourvoir en cassation, mais Manu ne l’a pas souhaité. Il n’escomptait pas gagner de l’argent avec une affaire qui s’éternisait. La reconnaissance du grand public lui suffisait”.
Interrogé en 2017 par Europe 1, la star camerounaise se disait autant “fier” qu’”amer” d’avoir été repris par Michael Jackson dans de telles conditions. Y avait-il vu malgré tout un “hommage” de la part de celui qui s’était autoproclamé King of Pop ? Et Manu Dibango de répondre, avec son humour et sa bonhomie si caractéristiques : ''C’était un hommage… Un peu cher''.