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En Inde, l'enfer des femmes face au viol
L'Inde, démocratie la plus peuplée du monde, connaît un nombre record d'agressions sexuelles. Pourtant, les autorités ne sont pas à la hauteur.

lle monte les escaliers, corsetée, érotique à souhait, s'allonge, lascive, et ôte sa perruque accompagnée d'un grand éclat de rire. La Drag Queen RuPaul adore faire son show. Le clip sulfureux s'adresse à une clientèle locale et internationale d'un palace de New Delhi. L'expression vivante des paradoxes de l'Inde où le Kama-sutra propose soixante-quatre positions sexuelles et où pourtant une femme est violée toutes les vingt minutes. Varsha, Nikita, Mamta, Ormila-Bharti et Indira n'ont rien à voir avec ces images de créature émancipée. Ce sont des intouchables qui racontent leur malheur qui jamais ne fait la une des journaux.

5.500 viols recensés

Nous sommes dans l'État du Madhya Pradesh, à 600 kilomètres de la capitale, New Delhi. La région figure à la première place du triste palmarès des plus touchées par les viols, avec 5.500 cas recensés par le National Crime Records Bureau (NCRB) pour plus de 30.000 au niveau national. En 2018, la Fondation Thomson Reuters plaçait l'Inde au premier rang des pays les plus dangereux pour les femmes. Varsha et ses compagnes d'infortune appartiennent toutes à la caste des dalits, les intouchables. Qui diable irait poser ses mains sur leurs formes impures? Question purement rhétorique mais récurrente chez nombre de policiers ou de juges qui balaient de la main quasi systématiquement ce genre de plaignantes lorsqu'elles osent franchir le seuil d'un commissariat ou d'un tribunal.

Réunies en cette douce journée de mars, ces rescapées, dont la plus jeune a 22 ans et la plus âgée 43 ans, ont accepté de parler à visage découvert. Parce que ce sont des victimes passées de l'autre côté du miroir. Celui de la force et du courage. Soutenues par l'ONG indienne Jan Sahas, qui les pousse activement dans la reconquête de leur vie et de leur corps, elles osent affronter le regard des autres, celui de la famille et de la société. Une gageure dans une Inde où perdure le système des castes, pourtant officiellement annulé par l'article 15 de la Constitution de 1949.

Varsha, kidnappée et violée par ses voisins

Enfermée dans une pièce sans fenêtres, à même le sol. Varsha a 18 ans. Six mois auparavant, le 14 janvier 2015, elle ne s'est pas méfiée, elle a ouvert sa porte aux deux voisins qu'elle connaissait très bien. ''J'étais seule, ils devaient le savoir, ils m'ont recouvert la tête avec une cagoule et m'ont traîné sur l'une de leurs mobylettes.'' Varsha connaît sa place dans la société indienne. Elle est discriminée depuis l'enfance. Elle ne va plus à l'école à cause de ça. Mais le kidnapping au domicile de sa famille, elle ne s'y attendait pas. Les deux individus sont des professionnels de petite échelle qui fonctionnent en famille. La mère donne le lait mélangé à un somnifère, les enfants gardent la porte et les frères ou les cousins, actifs participants, organisent les passes. Une dizaine par jour.

Varsha tente de s'enfuir une fois. Plus tard, elle tombe enceinte, ses geôliers l'emmènent à l'hôpital pour la faire avorter, elle ne tentera plus jamais de s'enfuir, elle est définitivement trop affaiblie. D'ailleurs, aux yeux de ces criminels, elle ne vaut plus rien, ils ont peur qu'elle meure et de perdre de l'argent. Ils la sortent de sa cellule et organisent des enchères en pleine rue à quelques mètres de chez eux. Il est 16 heures, elle vaut 1.500 dollars. Malgré le brouillard dans lequel elle a sombré, elle aperçoit deux policiers qu'elle connaît. Ce seront ses sauveurs. Ses parents tentent de porter plainte, mais le commissaire refuse de l'enregistrer. Le voisin reviendra, la violera à nouveau. Grâce aux pressions de Jan Sahas, elle sera enfin entendue, défendue. Après un long combat, elle verra les deux voisins condamnés à cinq ans de prison et elle empochera 3.000 dollars de dommages et intérêts. Aujourd'hui, elle a 23 ans et toute sa famille a dû déménager, en proie aux menaces constantes des proches des deux criminels.

Le ''test des deux doigts''

Le schéma est un peu à l'identique pour Mamta, 35 ans. Elle travaille avec son futur violeur. Elle ne se méfie pas. Elle sera kidnappée, vendue après lui avoir fait signer un papier où elle concède à sa propre vente. Au terme de six mois de viols quotidiens, un client la prend en pitié et l'aide à s'enfuir. Son mari la rejette car elle déshonore sa famille, dit-il. ''J'ai fini dans la rue. Si j'avais essayé de revenir chez nous, mon époux m'aurait tuée.'' La plus âgée, Ormila-Bharti, 43 ans, trois enfants, a subi les astuces de la justice indienne. Violée chez elle il y a huit ans par un voisin d'une caste supérieure, elle porte plainte mais le tribunal exige le ''test des deux doigts'', l'examen de l'hymen par un médecin, pour confirmer le viol… Ce qui permet au juge de repousser la plainte.

Un an plus tard, en mai 2013, la Cour suprême supprimera cette étrange procédure, arguant du fait qu'elle porte atteinte à la victime. Elle est encore pourtant largement pratiquée. Indira, qui a aujourd'hui 23 ans, est la plus atteinte. Son viol remonte à il y a un an, à la suite d'un harcèlement via Facebook. ''J'ai acheté une bouteille d'acide, souffle-t‑elle avec un filet de voix quasi inaudible, je ne voulais pas le dire à mes parents.'' Le liquide brûle ses entrailles. Elle survit à cette tentative de suicide. Ou presque. ''Je porte en moi cette sensation constante de brûlure, comme une piqûre de rappel de quelque chose que je voudrais oublier.''

Plus large qu'un problème de caste

A la lecture de ces témoignages, on pourrait essayer de rationaliser en se disant que le viol en Inde s'explique par le problème des castes. Mais rien n'est plus faux. Si 23% des femmes dalits ont certes subi viols ou tentatives de viol, Kranti, coordinatrice de l'ONG Jan Sahas, soutient néanmoins que la problématique de ce type d'agression est basée sur une relation dominant-dominé : ''L'appartenance à une caste n'est qu'une des explications. La femme dans la culture indienne a toujours été rabaissée. Il y a donc pour certains quelque chose de normal à la domination masculine sans limites.'' Les facteurs sociaux et économiques comptent tout autant. ''La grosse différence, c'est que quand une étudiante est violée, elle fait la une de la presse, alors que les dalits…'', souligne encore Ashif Shaikh, le directeur de Jan Sahas.

''Le viol tout comme les abus sexuels traversent toutes les classes sociales et tous les âges, souligne Swati Maliwal, 35 ans, présidente de la Commission de Delhi pour les femmes depuis 2015. Il y a derrière cette explication par la caste une instrumentalisation politique, culturelle ou religieuse amplifiée par les réseaux sociaux. Nos politiciens sont les premiers à le faire. Mais avec plus de 31.000 viols par an, non seulement le nombre de viols ne diminue pas, mais New Delhi a même été surnommée ''la capitale du viol''.'' De fait, à peine 150 violeurs ont été incarcérés l'an dernier. ''Un signal fort pour tout violeur en puissance qui pense ainsi agir en toute impunité'', conclut Swati Maliwal.

A-t‑elle été entendue? Toujours est-il qu'après le drame de 2012 – une jeune femme accompagnée de son ami a brutalement été violée dans un bus par six hommes – les autorités semblent avoir admis l'ampleur du phénomène. Si une enveloppe de 1,2 milliard d'euros a bel et bien été débloquée à l'époque, huit ans plus tard, moins d'un cinquième de la somme a été utilisé. ''Une gifle pour les femmes violées de ce pays, s'indigne encore la présidente de la commission. Il n'y a pas de volonté politique pour que le système judiciaire applique des lois pourtant déjà insuffisantes.'' Certains affirment que sa nomination n'est que poudre aux yeux. Swati Maliwal a donc dû recourir à des mesures extrêmes pour faire comprendre sa détermination. Par deux fois, elle a utilisé la grève de la faim comme moyen de pression, la dernière en décembre 2019 et qui a duré treize jours. À chaque fois, le gouvernement a bougé. ''Combien de grèves de la faim va-t‑il falloir que je mène alors?''

Source: AFP