L'assemblée générale de l'Organisation mondiale de la santé la semaine prochaine sera l'occasion pour les Occidentaux et les autorités chinoises de se défier une nouvelle fois, à leurs risques et périls.
Encore raté! Après des semaines de négociation, un nouveau projet de résolution au Conseil de sécurité des Nations Unies appelant à un cessez le feu mondial pendant la pandémie a été retoqué, vendredi, par les Etats-Unis. Le texte, rédigé par les diplomates français et tunisiens, mentionnait le devoir des Etats de coopérer et de soutenir les institutions multilatérales concernées par de telles crises, comme l'OMS. Pour le Département d'Etat, ce nouvel échec est à imputer à la Chine. ''La transparence et des données fiables sont essentielles pour combattre cette pandémie et la prochaine'', commente un porte-parole de la diplomatie américaine. Les derniers échecs d'un tel projet de résolution qui permettrait d'afficher un front uni des cinq membres permanents du Conseil de sécurité étaient également dus à l'exigence américaine de voir figurer l'expression ''virus de Wuhan'' pour désigner le coronavirus, comme s'il était vital de désigner un coupable de toutes les conséquences de la pandémie pour mieux exonérer la Maison Blanche de ses propres erreurs.
La semaine prochaine, du 18 au 22 janvier, l'Assemblée mondiale de la santé se réunira à Genève. Ce ''parlement'' de l'OMS aura à faire le bilan des actions menées contre le Covid-19 et à se projeter dans l'avenir pour envisager les moyens de rester mobilisé et de se préparer à une meilleure réponse internationale lorsque la prochaine crise épidémique éclatera. Les Etats-Unis, qui ont annoncé vouloir réduire leur contribution au budget de l'OMS, accusée par Donald Trump d'être ''dans les mains de la Chine'', entendent y défier Pékin directement. Notamment en proposant d'inviter Taïwan à participer à ce rassemblement. Non seulement parce que les autorités de Taipeh ont fait un travail remarquable pour lutter contre la contagion mais également parce que Taïwan se plaint d'avoir été exclu des deux tiers des consultations techniques liées au combat contre le virus. Pour Pékin, la ficelle est un peu trop grosse. Inviter Taïwan revient à considérer cette république autonome comme séparée de la Chine et donc à encourager son indépendance.
L'Australie, ''un chewing-gum qui colle aux chaussures de la Chine''
Dans ce jeu de pression sur Pékin, Washington a trouvé un allié avec l'Australie. En appelant de ses vœux une enquête internationale sur l'origine du virus, ce que Pékin refuse catégoriquement, le gouvernement de Camberra s'est attiré, une fois de plus, les foudres du régime chinois. Le journal Global Times, porte-voix des autorités communistes, compare ainsi l'Australie à ''un chewing-gum qui colle aux chaussures de la Chine''. Dans la foulée, l'ambassadeur chinois en Australie a menacé le pays de boycotter ses exportations.
Nombre d'autres gouvernements occidentaux sont sur une même ligne d'exigence vis-à-vis de la Chine en ce qui concerne le travail de transparence nécessaire pour mieux comprendre les origines de la pandémie. Mais les Européens ont bien compris qu'ils avaient aussi un avantage à se placer en puissance d'équilibre entre les Etats-Unis et la Chine. Un exercice rendu difficile par l'intransigeance du gouvernement chinois. Cette semaine, alors que les 27 ambassadeurs européens en Chine signaient une lettre célébrant le 45e anniversaire de la relation entre l'UE et Pékin, le passage de ce document mentionnant la coopération et la transparence nécessaires contre le virus a été censuré par le China Daily, un quotidien aux ordres du Parti. Le représentant de l'UE en Chine, le français Nicolas Chapuis, avait accepté ce caviardage à condition que chaque délégation puisse diffuser par ses propres moyens la version intégrale de la lettre. Mais à Bruxelles, le diplomate a été rappelé à l'ordre par sa hiérarchie. Coopération oui, complaisance non.
Les Occidentaux bénéficient d'un effet de levier important contre la Chine : le taux d'impopularité du régime communiste aux yeux des opinions publiques. Selon une enquête du Pew Research Center publiée le mois dernier, 66% des Américains ont une opinion négative de la Chine tandis que 91% considèrent l'influence et la puissance de la Chine comme une menace pour leur sécurité. En France, selon une étude de l'IFOP cette semaine, la Chine et les Etats-Unis sont considérés comme les deux pays les plus dangereux du monde, loin devant la Russie. Nombre de ces enquêtes ont été passées au crible par les services chinois puis transmise au ministère de l'intérieur. Selon l'agence Reuters, un rapport à ce sujet, établi par un think-tank proche des services de sécurité a été remis au début du mois dernier aux plus hauts dirigeants chinois, dont le président Xi Jinping. Notant que l'impopularité dans le monde à l'égard de la Chine est à son plus haut depuis le massacre de la Place Tien An Men, il prévient les dirigeants du risque d'une confrontation armée avec les Etats-Unis si les relations continuent de se détériorer.
''Exacerber le nationalisme à tout prix pour maintenir la cohésion du peuple chinois est une démarche risquée''
Cela n'a pas empêché, ce samedi, la porte-parole de la diplomatie chinoise, Hua Chunying de relayer, via Twitter, l'extrait d'une émission de la chaine américaine CNN dans lequel le géopolitologue Fareed Zakaria mettait en garde l'administration Trump contre des pressions sur les services de renseignements américains afin de fournir des informations tendancieuses sur le rôle de la Chine dans la propagation du virus. ''La Chine ne sera pas l'Irak'', a écrit, laconique, la fonctionnaire chinoise, en faisant allusion au départ en guerre des Etats-Unis en 2003 contre l'Irak de Saddam Hussein sur la base de renseignements fabriqués de toutes pièces sur les armes de destruction massive de Bagdad. ''Prétendre que les Etats-Unis complotent contre la Chine pour l'attaquer ou l'envahir, comme les officiels chinois le font depuis quelques jours, est non seulement ridicule mais dangereux'', commente Antoine Bondaz, spécialiste de l'Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). ''Exacerber le nationalisme à tout prix pour maintenir la cohésion du peuple chinois est une démarche risquée.''
Mais le contexte de la campagne présidentielle aux Etats-Unis, pourrait bien, malgré tout, enflammer le cours des événements côté américain. Dans leur dernier clip de publicité politique diffusés cette semaine, Donald Trump et Joe Biden rivalisent de griefs, comme autant de gifles à la figure. Le premier pour accuser le démocrate d'être le complice naïf de la Chine dans son retour de puissance sous la présidence Obama. Le second pour dénoncer chez le président républicain une attitude incohérente vis-à-vis de Pékin avec sa guerre commerciale d'un côté et sa mansuétude confiante au moment de l'épidémie de l'autre. En réagissant trop tard face au virus, Trump aurait ainsi, selon la campagne Biden, causé la mort de dizaines de milliers d'Américains tout en envoyant au chômage plus de trente millions de salariés.
Les Etats-Unis ne voudront pas que l'enquête sur l'origine du coronavirus soit menée par l'OMS
Qui tentera d'obtenir un cessez-le-feu verbal entre Washington et Pékin à l'heure où la Chine est devenue le parfait bouc-émissaire dans la présidentielle américaine ? L'Europe ? Il faudrait pour cela que Pékin finisse par accepter, à la demande des Européens à Genève la semaine prochaine, une enquête indépendante pour mieux coopérer au niveau international contre les suites de la pandémie. Vendredi, le ministère des affaires étrangères chinois a fini par lâcher un peu de lest en soutenant la création d'une commission, mais sous l'égide de l'OMS, afin d'évaluer ''la réponse mondiale'' au Covid-19, en souhaitant que cette évaluation de fasse de façon ''ouverte, transparente et inclusive''. Un pas en avant donc, mais tout en sachant que les Etats-Unis refuseront que cette enquête se fasse dans le cadre d'une OMS en laquelle ils n'ont plus confiance.
La représentation de l'UE à Pékin, qui semble avoir compris que toute indulgence ne servait à rien, comme l'épisode de la censure de son texte dans le China Daily l'a prouvé, écrivait hier sur les réseaux sociaux : ''En refusant de prendre ses responsabilités pour assumer ses erreurs, en n'autorisant pas d'enquête indépendante sur son sol et en cherchant à tirer profit de la pandémie, la Chine n'aide pas la communauté internationale''. Autant dire que cette tension est susceptible de générer des erreurs d'interprétation et des réactions intempestives ou brutales. C'est ce que craint le directeur du Council of Foreign Relations, Richard Haas, un vétéran de la diplomatie américaine. ''Ne vous lancez pas dans une nouvelle guerre froide avec la Chine'' écrivait-il vendredi dans le Wall Street Journal. ''Pékin soulève de vrais défis mais les menaces bien plus terribles qu'affrontent les Etats-Unis sont des problèmes globaux tels que le coronavirus''. Sous-entendu, il est grand temps de faire baisser la température, la confrontation avec la Chine est un combat dont personne ne sortirait gagnant.