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Après la mort de George Floyd, Minneapolis brûle sous la colère
Quatre jours après le décès de l'Afro-Américain, asphyxié par plaquage ventral lors d'une arrestation, la colère des manifestants contre la police ne décroît pas dans le Minnesota.

«Ce soir, tout est gratuit : servez-vous !» lance Mambo, un étudiant de Minneapolis, en observant la scène. Un parking d’un centre commercial du nord-est de la ville, en fin de journée jeudi ; les portes d’un supermarché forcées ; des détritus qui s’amoncellent, un ballet de voitures, des coffres qui claquent. Les bris de verre crissent sous les roues des caddies, remplis par des jeunes qui pillent le commerce tranquillement. Sur le parking, la police reste discrète. Seuls le bourdonnement des hélicoptères et l’odeur âcre des grenades lacrymogènes tirées depuis les toits pour disperser les pillards indiquent sa présence. «Contre la violence policière, les manifestations pacifiques ne suffisent pas, reprend Mambo. L’argent qu’ils vont devoir dépenser pour réparer tout ça, c’est ça qui va leur faire du mal. C’est ça qui va attirer leur attention : l’argent perdu. Ça aide de voir que tout le monde est là, Noirs comme Blancs.» Sur un mur, un tag réalisé à la va-vite assène que «la marchandise peut être remplacée, pas les vies des Noirs».

«Je ne peux pas respirer»

Quatre jours après la mort de George Floyd, la colère des manifestants contre la police ne fait que croître dans la plus grande ville du Minnesota. Lundi, cet Afro-Américain de 46 ans est mort juste après son arrestation brutale par la police, qui le soupçonnait d’avoir voulu écouler un faux billet de 20 dollars. Lors de l’intervention, il a été menotté et plaqué au sol par un agent blanc qui a maintenu son genou sur son cou pendant de longues minutes. «Je ne peux pas respirer», l’entend-on dire sur une vidéo de la scène, filmée par un passant et devenue virale. Puis il arrête de parler et s’immobilise complètement.

Les quatre policiers impliqués dans l’interpellation ont été renvoyés, et une enquête est en cours. Mais pour l’instant, aucune charge n’a été retenue contre eux. Les appels à la patience des autorités n’ont fait qu’attiser l’exaspération des manifestants. Acmé de la violence, dans la nuit de jeudi à vendredi, un groupe a forcé des barrières, brisé les vitres et incendié un commissariat de Minneapolis. Les policiers avaient évacué l’endroit peu avant, «dans l’intérêt de la sécurité de notre personnel», indique un communiqué des forces de l’ordre.

Anticipant les heurts, de nombreux commerces de la ville s’étaient barricadés. Outre des renforts policiers, 500 hommes de la Garde nationale ont été envoyés à Minneapolis jeudi. «Ces malfrats déshonorent la mémoire de George Floyd, et je ne laisserai pas faire cela», a tweeté le président américain, Donald Trump, dans la nuit, critiquant un «manque total de leadership» du maire démocrate de la ville, Jacob Frey. Et menaçant : «Quand le pillage commence, la fusillade commence.»

Gaz lacrymogène

La nuit est traversée par des nuages blancs de gaz lacrymogène. Dans le même quartier, entre le commissariat et le supermarché pillé, de hautes flammes orange dévorent un commerce de prêt sur gage. «C’est vraiment triste d’en arriver là, simplement parce qu’on n’a pas été entendus, regrette Rachel en regardant l’incendie. Et tout ça continue, parce qu’on nous dit qu’il y a besoin de faire une enquête !» La jeune femme, une Afro-Américaine qui a grandi et étudie à Minneapolis, a le visage fermé et les yeux sévères. «Le monde entier a vu qu’un homme a été tué par la police. N’importe qui d’autre serait déjà en prison. Mais lui, non, parce que c’est un policier blanc.»

A Minneapolis, avant George Floyd, il y a eu Philando Castile, un automobiliste noir abattu lors d’un banal contrôle de police en 2016, sous les yeux de sa compagne et d’une fillette. Le policier a été acquitté. A New York, il y a eu Eric Garner, autre Afro-Américain décédé en 2014 après avoir été asphyxié lors de son arrestation par des policiers blancs. Lui aussi avait dit à l’époque «Je ne peux pas respirer», phrase devenue cri de ralliement du mouvement Black Lives Matter («La vie des Noirs compte»). «On a manifesté pacifiquement pendant toutes ces années, et ça ne nous a menés nulle part, reprend Rachel. Qu’est-ce qu’on devrait faire ? Rester silencieux et attendre calmement qu’une autre vie soit détruite ?»

Plus tôt dans la journée, en plusieurs endroits de la ville, se sont tenus des manifestations et des rassemblements sans heurts. «Je ne peux pas respirer», ont scandé des milliers de manifestants dans le centre de Minneapolis, demandant la «justice pour George». Quand il a appris la mort de Floyd, Kaleb s’est simplement dit «encore un ?» raconte-t-il en marchant dans le cortège. Pour le jeune homme, très actif dans sa communauté, «il faut inculper ces gens, les mettre en prison. Mais le plus important, c’est quelle est la suite à tout ça ? Comment transformer ce mouvement pour obtenir un vrai changement ?»

«On en a assez»

Il juge les pillages et les destructions, déjà de grande ampleur la veille, «absolument désastreux, même si tous les manifestants ne sont pas des casseurs, loin de là». «Mais c’est le symptôme d’un problème plus large, il ne s’agit pas seulement de la mort d’un homme, insiste Kaleb. Cette tragédie est venue s’ajouter à la détresse créée par le Covid : beaucoup de gens ont perdu leur emploi [710 000 nouveaux chômeurs dans le Minnesota depuis mi-mars et la mise en place des mesures de confinement, ndlr]. Je crois qu’on a atteint un point de bascule.» Aux Etats-Unis, les Afro-Américains ont été touchés de manière disproportionnée par la pandémie, quels que soient les critères, sanitaires ou économiques.

En fin d’après-midi, de nombreux habitants se sont également rassemblés à l’intersection où George Floyd a été interpellé, dans le quartier de Powderhorn. Des fresques murales, des fleurs et des photos lui rendent déjà hommage. Plusieurs leaders religieux de la ville s’adressent à la foule pour tenter de calmer les esprits : «Ne gâchez pas ce moment ! Le monde nous regarde, vous avez du pouvoir ; maintenant, tout dépendra de ce que vous en ferez», prêche pasteur Albert. «La colère, c’est ce que vous obtenez quand vous opprimez des gens pendant si longtemps et que rien n’est fait pour la canaliser, explique-t-il après sa prise de parole. Si tout est si explosif en ce moment, c’est parce que c’est loin d’être la première fois que ça arrive. La police perpétue ces violences contre les Noirs. Nous avons tous vu cette vidéo, on a tous été forcés de regarder cette exécution. Si on ne dit rien, alors l’injustice continue. Et on en a assez.»

«La tempête parfaite pour changer de paradigme»

Douglas Ewart, un artiste d’origine jamaïcaine qui vit à deux pas de là, veut croire que les choses «peuvent s’améliorer». «Regardez, aujourd’hui, il y a beaucoup de jeunes Blancs qui comprennent la situation et manifestent. Ce sont eux qui permettront d’arriver à un changement réel.» Il estime qu’avec le Covid, «les gens ne sont ni à l’école ni au travail : ça fait beaucoup plus de monde pour manifester. Cette tragédie, c’est la tempête parfaite pour qu’on puisse, enfin, changer de paradigme.»

Dans le sillage de la mort de George Floyd, jeudi, des manifestations ont également eu lieu dans la ville voisine de Saint-Paul, capitale de l’Etat, mais aussi à Phoenix (Arizona), Los Angeles (Californie) ou Denver (Colorado). Près du commissariat et des commerces incendiés et pillés, à Minneapolis, a été écrit sur un mur, en lettres capitales : «Et maintenant, vous nous entendez ?»

Source: Libération