Quand IBK est arrivé aux affaires, le Mali souhaitait négocier avec la rébellion touareg, l'armée à cette époque était à Kidal, il y avait là-bas les banques, tous les services centraux de l'État, c'était l'accord de Ouagadougou, mais IBK a dit qu'il ne voulait pas négocier avec des hommes en arme. Il a voulu rentrer de force à Kidal, ça a dégénéré et l'État a tout perdu.
ENTRETIEN. L'imam Mahmoud Dicko a appelé les Maliens à manifester ce vendredi pour demander la démission du président. Son bras droit s'est confié au « Point Afrique ».
Vendredi 5 juin, à l'appel de l'influent imam Mahmoud Dicko, des milliers de Maliens confrontés quotidiennement aux difficultés socio-économiques, à la mauvaise gouvernance et à une situation sécuritaire fortement dégradée viendront manifester place de l'Indépendance à Bamako pour exiger la démission du président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta. Issa Kaou Djime, bras droit de l'imam Dicko, coordinateur général et figure montante de la CMAS (Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l'imam Mahmoud Dicko), une organisation politique qui soutient l'imam et capitalise sur son leadership et sa capacité à fédérer pour se poser en troisième voie dans l'arène politique malienne, explique au Point Afrique les tenants et les aboutissants de cette troisième démonstration de force qu'il espère aussi efficace que la précédente tenue il y a près d'un an et qui appelait à la démission du Premier ministre de l'époque, Soumeylou Boubèye Maïga.
Le Point Afrique : Vous appelez à une grande marche ce vendredi pour exiger la démission du président IBK. Pourquoi réclamez-vous son départ et ne craignez-vous pas de mettre le feu aux poudres ?
Issa Kaou Djime : Le président de la République est le gardien de la Constitution malienne, le garant de l'unité nationale et de l'intégrité du territoire, il doit faire respecter la loi, il est le président de la République, le chef suprême. Tout repose sur lui et il doit être le recours et l'arbitre à la fois. Quand IBK est arrivé aux affaires, le Mali souhaitait négocier avec la rébellion touareg, l'armée à cette époque était à Kidal, il y avait là-bas les banques, tous les services centraux de l'État, c'était l'accord de Ouagadougou, mais IBK a dit qu'il ne voulait pas négocier avec des hommes en arme. Il a voulu rentrer de force à Kidal, ça a dégénéré et l'État a tout perdu. Il a fallu aller voir le président mauritanien à l'époque pour essayer d'instaurer un dialogue qui nous a menés à l'accord d'Alger sur lequel le Mali a perdu du terrain. En cinq ans de cet accord qui était prévu pour six mois, rien n'a été réglé.
De même, au centre du pays, quand il est arrivé, il n'y avait aucun problème, aujourd'hui dans le Centre, l'État n'existe presque plus et c'est presque la guerre civile. Dans beaucoup d'endroits du pays, les écoles sont fermées et ça ce n'est pas qu'à cause du terrorisme. Regardez la gouvernance, tous les scandales qui ont éclaté sous son régime : il y avait plus de 1 300 milliards pour la programmation militaire, l'argent a été détourné, l'affaire des engrais frelatés, l'avion présidentiel dont on ne sait toujours pas quel est le vrai montant, l'argent de l'APCAM qui a été détourné. Les personnes qui devaient être poursuivies ne l'ont pas été. Le peuple n'avait plus qu'un seul recours, les élections, mais là aussi les choses ne se sont pas fait de façon régulière. Donc vendredi sera un référendum, si le peuple sort par million, la communauté internationale, les PTF verront qu'IBK n'est plus légitime, que le peuple lui a tourné le dos, ils devront soit être avec le peuple, soit avec ce régime qui est corrompu. IBK est le problème du Mali et la solution est son départ.
Ce « référendum », pour reprendre votre expression, sera-t-il plutôt bamakois ou malien ?
Il y a de nombreux régionnaux qui vont converger à Bamako pour cette grande marche. De Sikasso à Kayes en passant par Mopti et Koutiala, ils viendront de partout. Vu le contexte sécuritaire, nous n'avons pas voulu lancer un mot d'ordre sur l'ensemble du territoire, car nous sommes conscients que nous avons des problèmes. Si ces gens viennent des régions pour manifester à Bamako, cela veut dire qu'une majorité du peuple est d'accord. De plus, les symboles de l'État sont à Bamako. Ce vendredi, quand le peuple sortira par millions, ce sera une façon de montrer de manière efficace qu'IBK n'est plus légitime.
Mahmoud Dicko, déjà l'un des plus influents leaders religieux du Mali, s'est aussi lancé en politique en septembre 2019. © MICHELE CATTANI / AFP
Que comptez-vous faire si le président IBK ne démissionne pas ?
C'est le peuple qui décidera de la démission d'IBK, c'est le peuple qui lui a donné ce mandat. Si le peuple dit « on ne veut plus de lui », si c'est un démocrate, il devra démissionner.
Vous pensez donc qu'il le fera ?
Ce n'est pas à moi de penser, c'est le peuple qui décidera, le dernier mot revient au peuple, pas à IBK. Vendredi sera un test qui permettra de voir si le peuple vient massivement, si c'est le cas, IBK ne pourra pas rester au pouvoir. Et nous ne souhaitons pas seulement que le président IBK démissionne, mais aussi tout son régime. Nous ne visons pas une personne, nous voulons un changement de système.
Comment voyez-vous l'avenir si le président démissionne comme vous l'entendez ?
Nous devrons aller vers une IVe République. Si on veut changer les institutions, si on veut changer le système, il faut aller vers une IVe République.
Dans cette IVe République que vous appelez de vos v?ux, quel sera le rôle de la CMAS ?
C'est le peuple qui appréciera cela, car nous allons créer un cadre démocratique qui permettra à toutes les forces politiques de se retrouver pour ?uvrer à ce qui est bon pour le Mali, tout en tenant compte du fait que la démocratie doit être le socle et que le Mali restera dans tout ce qu'il a signé ou ratifié avec ses partenaires. Le problème actuel pour nous, c'est le système, ce n'est pas la communauté internationale, ni les PTF, le problème est IBK et son régime.
Que pensez-vous de la piqûre de rappel de la Cour constitutionnelle concernant la marche de vendredi ?
C'est de la farce ! La présidente de la Cour constitutionnelle Manassa Dagnoko s'agite chaque fois que nous voulons faire de grandes manifestations. Quand on a lancé la CMAS, elle a dit que ce n'était pas légal. Mais, pour la marche de vendredi, le gouvernorat nous a donné l'autorisation, donc cela veut dire que son agitation n'a pas lieu d'être, son rôle n'est pas de faire la police, il est de juger de la conformité des lois, juger de la sincérité des élections. Elle n'est pas l'institution, elle est cheffe de cette institution. Cette Cour est contestée et les élections législatives ont montré qu'elle n'est plus légitime et que les élections législatives n'ont pas été des élections régulières, tout le monde est d'accord là-dessus, la population, la classe politique, tout le monde. On a compris que Manassa Dagnoko est là pour le régime et non pour veiller sur la sincérité des scrutins et voir la constitutionnalité des lois, elle est sortie de ses prérogatives, elle a choisi de servir le régime et non la démocratie, pour quelle raison ? C'est elle qui le sait. Nous nous savons qu'elle n'est plus légitime. Pour nous, elle n'est qu'un détail.