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Violences faites aux femmes : le Nigeria s'enflamme sur la Toile
Après des plaintes pour viol ou meurtre commis contre des jeunes filles. Les jeunes Nigérians se sont emparés de la Toile pour lutter contre les violences faites aux femmes, mais aussi les violences policières exacerbées pendant la crise sanitaire. Le mouvement de protestation est aussi en train de gagner les célébrités du pays.

#JusticeForUwa, #JusticeForJennifer, #JusticeForTina : ces hashtags ont été partagés des dizaines de millions de fois sur les réseaux sociaux nigérians ces derniers jours, après des plaintes pour viol ou meurtre commis contre des jeunes filles. Alors que les manifestations sont rares et souvent réprimées par la violence, les jeunes Nigérians se sont emparés de la Toile pour lutter contre les violences faites aux femmes, mais aussi les violences policières exacerbées pendant la crise sanitaire. Le mouvement de protestation est aussi en train de gagner les célébrités du pays.

Les réseaux sociaux, « un outil »

Dans l'État de Kaduna (nord), Jennifer, une jeune adolescente de 18 ans, a été violée fin avril par cinq hommes, après s'être fait piéger par ses agresseurs sur Facebook. Dans une vidéo diffusée le 10 mai, on voit les proches de la jeune femme tenter de lui faire reprendre connaissance, en lui passant de l'eau sur le visage. « Les familles des violeurs vont vouloir s'arranger de manière informelle » en payant les parties adverses ou la police, se plaignent-ils. « Ils ne demanderont même pas comment va la fille, tout ce qu'ils voudront, c'est que l'affaire ne soit pas rendue publique. » Un usager de Twitter, L'oncle Shemzz, bien au fait du drame a lancé le mouvement : « Voici la jeune fille de 18 ans qui a été violée par un gang il y a des semaines à Narayi. Les violeurs n'ont pas été poursuivis en justice et il semble que ses parents envisagent d'accepter des paiements. Aucun montant ne peut payer pour ces dommages. C'est NOTRE devoir de veiller à ce qu'il y ait #JusticeForJennifer », a-t-il ajouté.

Après le scandale causé par les dizaines de milliers de partages de ce message accompagné du hashtag #JusticeForJennifer, deux des agresseurs présumés ont été arrêtés et inculpés pour « conspiration criminelle, intoxication involontaire et viol », rapporte à l'AFP le porte-parole de la police locale Mohammed Jalinge. « Trois autres suspects restent introuvables. »

Des affaires en cascade

Depuis la semaine dernière, de nombreuses autres affaires ont éclaté, horrifiant la jeunesse nigériane, engagée, urbaine et connectée. La jeune Tina E., 16 ans, a été abattue par un policier, lors d'une altercation entre les forces de l'ordre et un chauffeur de bus qui ne respectait pas les heures du couvre-feu imposé à Lagos, la capitale économique. Les deux policiers, Theophilus Otobo et Oguntoba Olamigoke, ont été arrêtés par le commandement de la police de l'État de Lagos pour cet acte et font l'objet d'une procédure disciplinaire interne, informe la presse locale nigériane.

Le même jour, Vera Uwaila Omozuma (dite Uwa), 22 ans et étudiante en microbiologie dans l'État d'Edo, dans le sud du pays, a été retrouvée morte dans une église évangélique après avoir été violée et frappée à mort par ses agresseurs, selon ses proches. Le mouvement #JusticeForUwa, lancé notamment par une blogueuse de l'État d'Edo, a rassemblé des centaines de milliers d'internautes et la police fédérale a promis que les coupables « devraient répondre à la justice ».

Le gouverneur Godwin Obaseki, qui a reçu la famille de la victime lundi matin, « a demandé d'être briefé minute par minute sur l'avancement de l'enquête », rapporte à l'AFP son porte-parole Crusoe Osagie.

« Les réseaux sociaux sont un outil pour mettre les institutions, la police face au mur ou pour reconnecter les leaders de ce pays avec ce qu'il se passe sur le terrain », explique Segun Awosanya, à la tête d'une puissante organisation de la société civile de surveillance des violences policières (Social Intervention Advocacy Foundation, SIAF).

« Une fois que la lumière est braquée sur eux, ils ne peuvent plus faire comme s'ils ne savaient pas », assure ce défenseur des droits de l'homme aux plus de 500 abonnés sur Twitter. « Nous voyons tous ce qu'il se passe aux États-Unis », poursuit l'activiste, surnommé Sega l'Éveilleur. « C'est l'occasion de partager notre souffrance et notre mécontentement. »

Dans sa stratégie pour lutter contre les violences sexuelles à l'égard des femmes, le Nigeria a lancé en décembre 2019 son premier registre des délinquants sexuels qui contient les noms de toutes les personnes poursuivies pour ces faits depuis 2015. Une quinzaine de structures de références pour les agressions sexuelles (SARC) ont été mises en place dans plusieurs États. Là-bas, les victimes de violence sexuelle ou sexiste peuvent accéder à des soins et à un accompagnement à la justice. L'objectif est clairement de donner la parole et l'aide indispensable aux victimes dont la voix a longtemps été réduite au silence.

Pour Betty Abah, directrice exécutive de CEE HOPE, une organisation à but non lucratif de défense des droits des filles basé à Lagos, « ce qui dissuade les gens dans toutes les régions du monde, c'est qu'ils savent qu'il y aura des sanctions et des conséquences à leurs actes, mais au Nigeria, ils croient qu'ils peuvent toujours s'en tirer en soudoyant la police. Finalement, ce sont les victimes qui sont inquiètes d'aller en justice parce que soit la justice ne sera pas rendue, soit elle sera retardée, et au bout du compte, la victime peut devenir une cible », analyse-t-elle au micro de Saharareporters.

#NousSommesFatigués

Au-delà de la violence faite aux femmes, le mouvement s'est rapidement transformé en contestation générale, porté par les plus grandes célébrités du pays, d'habitude frileuses lorsqu'il s'agit de politique. « #NousSommesFatigués de ces tueries incessantes, des camions qui se renversent sur les routes et tuent des innocents (?), des petites filles qui se font violer, des jeunes garçons tués par la police, fatigués de voir des diplômés au chômage? », a écrit la diva de l'Afropop Tiwa Sawage à ses 4 millions de followers sur Twitter.

Peu après elle, les stars Don Jazzy (4,6 millions d'abonnés), Mr Eazy (1,5 million), ou encore Rema (850 000) lui ont emboîté le pas en partageant le hashtag #WeAreTired et #JusticeForAll : une première dans le monde ultra-puissant, et d'habitude peu engagé, de la musique nigériane.

« La police américaine tue les Afro-Américains et la police nigériane tue les Nigérians », a dénoncé Wizkid, le plus populaire d'entre eux (6,5 millions d'abonnés). « Trump et Buhari ? le président nigérian ? sont les mêmes, sauf que l'un sait utiliser Twitter et l'autre non. »

Source: Le Point