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Génocide au Rwanda : «Ce qu’on sait de l’implication de la France est déjà explosif»
C’est une victoire historique qu’a obtenue, après cinq ans de combat, le chercheur François Graner. Vendredi, le Conseil d’Etat lui a accordé l’accès aux archives de François Mitterrand sur la politique française au Rwanda, petit pays de l’Afrique des grands lacs où s’est déroulé en 1994 le génocide contre la minorité tutsi, qui fera près d’un million de morts.

À la suite de la décision du Conseil d'État vendredi, le chercheur François Graner revient sur sa victoire pour obtenir l'accès aux archives sur le rôle de la France au Rwanda en 1994.

C’est une victoire historique qu’a obtenue, après cinq ans de combat, le chercheur François Graner. Vendredi, le Conseil d’Etat lui a accordé l’accès aux archives de François Mitterrand sur la politique française au Rwanda, petit pays de l’Afrique des grands lacs où s’est déroulé en 1994 le génocide contre la minorité tutsi, qui fera près d’un million de morts. Alliée du régime génocidaire, la France était alors en première ligne. Egalement membre de l’association Survie, très impliquée dans la lutte contre la Françafrique, et auteur de deux ouvrages sur la France au Rwanda (1), Graner revient sur l’importance et la portée de cette décision.

Quelle est l’importance de la décision du Conseil d’Etat ?

Les membres de cette juridiction se sont réunis en assemblée solennelle, ce qu’ils ne font qu’une ou deux fois par an, pour affirmer que les citoyens ont le droit de s’informer. Et que ça prime sur la protection, les secrets des gouvernants. Sur le fond, c’est bien plus important que l’accès à ces documents précis. Car désormais, grâce à cette jurisprudence, il sera plus compliqué pour une administration de refuser une demande d’informations, sur ce sujet comme sur un autre.

Mais dans le cas précis de l’implication de la France dans cette tragédie, à quoi aurez-vous désormais accès ?

Je vais pouvoir avoir accès à onze dossiers qu’on me refusait. En cinq ans de bataille, j’ai déjà pu obtenir cinq dossiers sur les dix-huit que je sollicitais. Ce qu’on vient de m’accorder, c’est l’accès à la totalité des archives sur Bruno Delay, le conseiller Afrique du président. Ainsi que les 800 pages des archives récoltées par Françoise Carle, une enseignante et militante du Parti socialiste qui, de façon informelle, avait pour mission de sélectionner les documents de conseillers de Mitterrand sur ce sujet.

Quels éléments nouveaux pouvez-vous espérer y trouver ?

On peut espérer avoir plus d’éclaircissements sur le tournant de la politique française au Rwanda en février 1993 : au moment où l’Elysée s’engage réellement aux côtés des extrémistes au sein du régime rwandais. Il est possible également d’avoir plus de précisions sur l’attentat du 6 avril contre l’avion du président Habyarimana, qui sert de déclencheur au génocide. Il y aura peut-être des éléments nouveaux sur l’opération Turquoise [déclenchée au Rwanda par la France fin juin 1994, ndlr] qui, sous couvert d’aide humanitaire, a permis aux responsables du génocide de fuir au Zaïre [aujourd’hui République démocratique du Congo, ndlr]. Et enfin, on en apprendra peut-être plus sur le rôle de la France auprès de l’armée génocidaire en déroute à partir de juillet 1994. On sait déjà qu’elle l’a réarmée, mais on ne sait pas jusqu’où allait ce soutien.

Pensez-vous pouvoir trouver quelque chose de réellement inattendu, un scoop ?

Ce qu’on sait de l’implication de la France pendant le génocide au Rwanda est déjà explosif ! Pour garder le Rwanda dans la zone d’influence française, une petite poignée de décideurs ont soutenu un régime génocidaire en connaissance de cause. C’est une complicité de génocide, et énoncer une telle accusation c’est déjà vertigineux.

Quel est le rôle particulier de Mitterrand dans ce drame ?

Pour François Mitterrand, la France ne pouvait être une grande puissance que si elle maintenait une zone d’influence néocoloniale. Quel que soit le prix à payer. Il a donc choisi de soutenir ses alliés, même s’ils préparaient l’extermination des Tutsis. Mais la vraie question, c’est comment les institutions de la Ve République ont permis à un seul homme d’imposer à ce point sa vision, entouré de quelques conseillers comme Hubert Védrine. Il y a eu au moins quinze questions critiques au Parlement, sans jamais de débat. A partir des années 90, certains ministres de la Défense, comme Pierre Joxe, se sont opposés à cette politique, en vain. Et même certains militaires sur place, comme le général Varret, qui a été viré.

Voit-on une évolution avec Macron ?

Macron a encore plus présidentialisé la fonction à la tête de l’Etat. Il est moins colonialiste, mais peu avant son élection, il a rappelé son attachement à la stabilité des Etats africains «même ceux avec lesquels on ne partage pas les mêmes valeurs». C’est très mitterrandien, ça !

Et la commission d’archives qu’il a mis en place, sur le rôle de la France au Rwanda ?

Hollande avait promis d’ouvrir les archives à tout le monde, sans le faire. Macron a désigné une commission d’historiens présidée par Vincent Duclert. On aurait pu lui faire confiance a priori. Mais la note de mi-parcours délivrée par cette commission en avril est stupéfiante. Elle explique sa méthodologie, puis soudain, voilà qu’elle avance déjà des certitudes. En gros, les détracteurs de la politique française n’ont rien compris. Il y a des phrases hallucinantes sur l’opération Amaryllis [qui a permis l’évacuation des ressortissants français mais aussi de nombreux dignitaires du régime au début des massacres, ndlr]. Et la note reprend les arguments d’Hubert Védrine sur une «politique équilibrée», en dépit de tout ce qu’on sait désormais. Mais s’ils sont déjà si convaincus, que peuvent trouver les membres de la Commission Duclerc dans les archives ? En fait, on se rend compte qu’en France, on a toujours du mal à regarder les pages obscures du passé, c’est presque une spécificité française.

Source: Libération