Rien ne va plus au sein du parti de Félix Tshisekedi : l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Et cela dure depuis de longs mois. Considéré comme le phare de l'opposition en République démocratique du Congo (RDC), le parti cofondé dans la clandestinité par feu Étienne Tshisekedi se retrouve au coeur de la tempête à cause de la non-application de certaines dispositions prévues par les statuts du parti après l'élection de Félix Tshisekedi à la tête du pays en janvier 2019.
Rien ne va plus au sein du parti de Félix Tshisekedi : l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Et cela dure depuis de longs mois. Considéré comme le phare de l'opposition en République démocratique du Congo (RDC), le parti cofondé dans la clandestinité par feu Étienne Tshisekedi se retrouve au c?ur de la tempête à cause de la non-application de certaines dispositions prévues par les statuts du parti après l'élection de Félix Tshisekedi à la tête du pays en janvier 2019. C'est l'article 26 du texte qui régit la vie interne du parti qui est remis en cause par ses plus hauts cadres. Au c?ur de toutes les querelles et tractations politiques : Jean-Marc Kabund-a-Kabund.
L'article « 26 », au c?ur d'une guerre des clans
Tout commence juste après la proclamation de Félix Tshisekedi par la Commission électorale nationale et indépendante (Ceni) comme vainqueur des élections de décembre 2018. Conformément à l'article 96 de l'actuelle Constitution du pays qui interdit au chef de l'État d'exercer des fonctions de dirigeant d'un parti politique, Félix Tshisekedi s'est trouvé dans l'obligation de renoncer à la présidence de l'UDPS, héritée de son défunt père et emblématique opposant Étienne Tshisekedi décédé en février 2017. Deux jours avant sa prestation de serment, Félix Tshisekedi a donc signé un mandat spécial pour nommer Jean-Marc Kabund, alors secrétaire général du parti à la présidence de cette formation, « aux fins d'assurer son intérim jusqu'à la fin de son indisponibilité ».
Or, pour la petite histoire, les statuts de ce parti, rédigés dans les années 1980 dans un contexte de dictature sous l'ère Mobutu et modifiés par Étienne Tshisekedi en 2013, prévoient, dans son article 26, qu'en cas « de démission, d'empêchement définitif, d'expiration de mandat ou d'interdiction d'exercer du président du parti, un directoire assume son intérim pour un délai ne dépassant pas 30 jours, au cours duquel il est tenu de convoquer une session extraordinaire du Congrès en vue de l'élection d'un nouveau président du parti ». Pour certains caciques du parti, l'« empêchement » de Félix Tshisekedi est bel et bien définitif puisque son mandat à la tête de l'UDPS aurait expiré avant la fin de son mandat de chef de l'État.
« J'ai toujours dit que c'est le président Félix Tshisekedi qui a ouvert la brèche, et c'est ce qui explique même son silence complice aujourd'hui », estime Jean Kalala, militant de l'UDPS.
Les « légalistes » face aux « usurpateurs ou putschistes »
De cet affrontement ont émergé deux grands courants qui s'affrontent au sein de l'UDPS, les « légalistes » et les « usurpateurs ». D'une part, le courant « légaliste » incarné par Victor Wakenda et Jacquemin Shabani, respectivement président de la Convention démocratique du Parti (CDP) et président de la Commission électorale permanente (CEP). Ils estiment être du côté de la légalité et du droit, et sont donc censés, selon l'esprit et la lettre des statuts du parti, diriger le fameux directoire aux côtés du secrétaire général.
D'autre part, le courant dit des « usurpateurs », incarné par le puissant président du parti Jean-Marc Kabund et son affidé secrétaire général intérimaire Augustin Kabuya. Ce dernier courant bénéficie d'un important soutien de la part des militants à cause de la fermeté dont a fait preuve cet historique du parti envers le régime de l'ancien président sortant Joseph Kabila.
Le tandem Kabund et Kabuya reproche aux légalistes de mal interpréter le texte : « Ceux qui brandissent l'article 26, c'est peut-être par ignorance. Cet article est indiqué dans un contexte bien précis, empêchement du président ou disparition. Or, au stade actuel, le chef de l'État n'est pas empêché décisivement. Nous ne pouvons pas ravir ce que le congrès lui avait donné », a tranché Augustin Kabuya, devant une foule de militants lors d'une matinée politique à Kinshasa.
Cette position est largement soutenue par certains militants du parti. « Pour l'heure, l'UDPS n'a pas besoin de se déchirer sur ses propres textes, mais elle a besoin de s'organiser, de s'implanter plutôt que de penser à l'organisation d'un autre congrès, budgétivore soit-il, après celui du 30 mars 2018 ayant abouti à l'élection de Félix Tshisekedi comme président du parti, succédant ainsi à son père décédé », analyse Hervé Kabeya, motocycliste et partisan du parti.
Du reste, Christian Mutombo, juriste et proche du parti, ne partage pas cette lecture des faits. Pour cet avocat, la mise en application de l'article 26 dans son intégralité aiderait le parti à montrer l'exemple en ce qui concerne son attachement à la démocratie et à l'État de droit pour lesquels il a lutté près d'un quart de siècle : « Les statuts de l'UDPS n'avaient pas, bien sûr, prévu d'alternative dans le cas où le président de l'UDPS serait élu », confie-t-il.
Le bras de fer se poursuit à l'Assemblée nationale
Ce long et compromettant bras de fer entre les deux tendances a traversé le cadre interne du parti pour se diriger vers les institutions de l'État. Les divisions observées récemment après la destitution fracassante du président du parti, Jean-Marc Kabund, au poste du premier vice-président de l'Assemblée nationale, ont jeté une fois de plus le discrédit sur ce grand parti politique.
Un petit regard rétrospectif pour expliquer les raisons de la destitution fracassante du premier vice-président de l'Assemblée nationale congolaise vaut son pesant d'or. En effet, le 24 mars dernier, le président Félix Tshisekedi a décrété l'état d'urgence sanitaire pour limiter la propagation du Covid 19. D'après le président du Sénat, Alexis Tambwe, cet état d'urgence devait être régularisé par la tenue d'un congrès (Assemblée nationale et Sénat). Dans la foulée, le vice-président de l'Assemblée et par ailleurs président de l'UDPS, sur une note contestée de Félix Tshisekedi, est aussitôt monté au créneau pour fustiger l'organisation de cette assemblée, évoquant son coût de 7 millions de dollars.
Des allégations qui ont heurté la sensibilité de son collègue Jean-Jacques Mamba, élu de Kinshasa sur la liste du Mouvement de libération du Congo de Jean-Pierre Bemba. Ce dernier a exigé des explications de Jean-Marc Kabund, puis a lancé une pétition qui a abouti à la destitution de ce dernier de son poste de vice-président de l'Assemblée nationale, par 289 députés sur les 315 présents lors de la séance agitée du 25 mai.
« Ce passage en force du FCC [Front commun pour le Congo, de Joseph Kabila, NDLR] est la preuve que le complot était ourdi et va au-delà de ma destitution. En vrai tshisekediste, je quitte ce poste la tête haute et sans compromission », a réagi le concerné sur Twitter. En effet, avec cette destitution, le président congolais perd un atout majeur au bureau d'une chambre dominée par le Front commun pour le Congo, la coalition de Joseph Kabila avec laquelle il partage le pouvoir.
Depuis, une guerre de succession est ouverte pour désigner un successeur. Dans une déclaration rendue publique le 28 mai à Kinshasa, l'UDPS et son secrétaire général Augustin Kabuya ont « jugé inopportun de désigner un autre candidat parmi les députés nationaux élus sur sa liste, en remplacement de Jean-Marc Kabund au poste de premier vice-président de l'Assemblée nationale ». En conséquence, ajoute le communiqué, l'UDPS prévient que tout élu sur sa liste, qui violerait cette résolution susmentionnée sera considéré comme ayant délibérément quitté le parti.
Prenant à contre-pied ce communiqué, le directoire du parti composé par le tandem Wakenda et Shabani (les légalistes, NDLR) a pris acte de la démission de Kabund de ce poste et a invité le groupe parlementaire UDPS et alliés à faire « des propositions concrètes, objectives et transparentes et équilibrées » pour remplacer Jean-Marc Kabund. Ils ont, en outre, soulevé que ce « poste hautement stratégique revient de droit à l'UDPS » et « ne peut aucunement être perdu par le parti suite à des réactions inspirées par l'émotion ».
Cette position a été vivement confortée par la réaction du respectueux professeur de droit et député UDPS André Mbata, qui pense que le « poste du vice-président de l'Assemblée nationale est réservé à l'UDPS, pas à un quelconque individu qui se prendrait comme un homme providentiel ». Poursuivant, le professeur Mbata a rappelé que « les députés de l'UDPS restent fidèles au parti et au président de la République, mais ne peuvent en aucun cas obtempérer aux putschistes ».
D'aucuns n'hésitent actuellement pas à pointer du doigt le silence complice de Félix Tshisekedi. Ce dernier est invité à briser son mutisme pour remobiliser les troupes en vue des prochaines élections générales. L'opposant Moïse Katumbi s'en est mêlé lors de sa dernière intervention médiatique en rappelant que le « bilan de 2019-2023, c'est un bilan de l'UDPS et non de la coalition ». À cette allure, des observateurs avertis prédisent la décadence, tout au mieux la chute, de l'UDPS, comme ce fut le cas du parti Lumbiste unifié, Palu, du feu patriarche Antoine Gizenga, qui avait lui aussi fait alliance avec Kabila dans le même contexte que l'UDPS.