Mungi Ngomane, petite-fille de Desmond Tutu, a consacré un livre à cette philosophie bantoue. Par ces temps troublés, cet ouvrage prend tout son sens.
Se voir en autrui, se mettre à sa place, apprendre à l'écouter pour mieux le comprendre? Voilà quelques principes qui pourraient nous permettre de vivre en harmonie, dans le respect et la bienveillance, s'ils étaient appliqués par la majorité d'entre nous. Une douce utopie ? Une urgence, plutôt, comme nous le rappelle douloureusement l'actualité outre-Atlantique qui oblige une fois de plus des êtres humains à scander dans la rage et la douleur : « Black Lives Matter ! »
Le énième déni d'humanité que constitue la mort de George Floyd intervient à une période où le monde, après avoir fait son examen de conscience, s'interroge sur son avenir. Avec la pandémie de Covid-19 et le confinement de la moitié de la planète, nous avons vu la façon dont nous étions tous liés les uns aux autres, nous l'avons éprouvé dans notre chair. Chez beaucoup, cette crise a fait émerger un réel désir de changement.
À travers Ubuntu ? Je suis car tu es ? Leçons de sagesse africaine, publié fin 2019 chez HarperCollins, Mungi Ngomane s'adresse précisément à ceux qui aspirent à un monde plus juste.
Ubuntu, une philosophie humaniste
En langue xhosa, le terme ubuntu désigne l'humanité. En kinyarwanda, la générosité. C'est un concept qui existe dans presque toutes les langues bantoues d'Afrique et qui englobe la notion de communauté et d'interdépendance entre les êtres humains. Ubuntu est illustré clairement en zoulou et en bantou par le proverbe « Umuntu, ngumuntu, ngabantu », que l'on pourrait traduire par « l'individu n'est individu qu'à travers d'autres individus ». Autrement dit, « je suis parce que tu es ».
Le Prix Nobel de la paix Desmond Tutu, qui a toujours prôné avec ferveur ubuntu, en a résumé l'essence ainsi : « Mon humanité est entremêlée, inextricablement liée, à la tienne. Lorsque je te déshumanise, je m'inflige le même traitement inexorablement. »
Un homme a incarné cette philosophie : il s'agit de l'ex-président sud-africain Nelson Mandela. Pendant la lutte contre le régime ségrégationniste de son pays, au cours de ses vingt-sept ans d'emprisonnement et à sa libération, Nelson Mandela est toujours resté fidèle aux valeurs véhiculées par ubuntu. C'est en s'appuyant sur celles-ci qu'avec l'archevêque Desmond Tutu ils ont permis à l'Afrique du Sud de se relever au lendemain de l'apartheid en évitant le bain de sang. Après les premières élections démocratiques du pays en 1994, ils ont en effet entamé une politique de réconciliation nationale avec la création de la commission Vérité et Réconciliation.
« J'ai souvent dit qu'ubuntu était l'un des plus grands cadeaux que l'Afrique ait faits à cette planète », écrit Mgr Desmond Tutu dans la préface d'Ubuntu ? Je suis car tu es. « Un cadeau dont, malheureusement, peu de gens connaissent l'existence. »
Un livre de développement fraternel
Avec ces « 14 leçons de la nation arc-en-ciel », comme elle les a nommées, Mungi Ngomane reprend le flambeau de son grand-père en essayant à son tour de partager la philosophie ubuntu avec le plus grand nombre.
Conseils pratiques, citations inspirantes, textes étayés de cas concrets, l'ouvrage pourrait ressembler à un livre de développement personnel classique. Mais dans la forme seulement, car, dans le fond, le livre nous pousse à nous décentrer et touche à l'universel en célébrant la diversité et l'intérêt commun.
De la première leçon, « Se voir dans autrui », à la dernière, « Apprendre à écouter permet de mieux entendre », le lecteur va essayer d'améliorer la qualité de sa relation à l'autre. Il va aussi apprendre à se respecter et à prendre soin de lui-même, sans sombrer dans l'individualisme qui règne dans le monde occidental. « Le principe sous-jacent le plus crucial d'ubuntu est sans doute le respect, autant pour soi-même que pour autrui », explique Mungi Ngomane. « L'idée est simple : si une personne se respecte elle-même, elle est beaucoup plus susceptible de faire de même pour les autres. »
Pour illustrer ubuntu, l'autrice va s'appuyer sur l'expérience sud-africaine, bien sûr, mais aussi prendre des exemples partout dans le monde : au Lesotho, par exemple, au Rwanda ou encore au Royaume-Uni, où Mungi Ngomane est la marraine de la Tutu Fondation UK. Ces textes font écho, car nous pouvons tous nous retrouver dans la plupart des situations abordées.
Certains aspects de notre vie sont peut-être déjà empreints de cette philosophie, d'autres moins, voire pas du tout. Ubuntu ? je suis car tu es nous invite à revoir ou améliorer notre manière d'être au monde en nous engageant auprès des autres et en faveur de la planète, même par de toutes petites actions. Cette lecture riche en enseignements ouvre la voie à un apprentissage de toute une vie.