Lutte contre le coronavirus, relations avec ses voisins et avec la France, état des droits de l’homme dans son pays… Le chef de l’État s’explique, parfois tranchant, toujours pragmatique.
«Le Wakanda existe, je l’ai rencontré ! » écrivait à la fin de mai une blogueuse américaine, enthousiaste à son retour du Rwanda, sur la plateforme web Medium. Pas de doute : vingt-six ans après l’Armageddon qui a dévasté ses mille collines, le pays du « président digital » Paul Kagame continue de fasciner des milliers de fans étrangers, dont bon nombre de jeunes diplômés africains, sidérés par le leapfrogging étourdissant qui le propulse au seuil de la quatrième révolution industrielle.
La pandémie de coronavirus qui a obligé le Rwanda à fermer ses écoutilles, lui dont le développement repose sur l’extraversion, va-t-elle remettre en question ce grand bond en avant ? Même si le bilan reste faible à ce jour (un peu plus de mille cas déclarés et une petite poignée de décès au 1e juillet), les conséquences de la mise en apnée forcée de l’économie rwandaise peuvent être lourdes. En particulier pour le redémarrage des grands chantiers (Kigali Innovation City et le projet de Cité verte entre autres, 7 milliards de dollars d’investissements à eux deux) et celui du tourisme haut de gamme.
Les prévisions de croissance pour 2020 étant ce qu’elles sont (2 %, au lieu des 9,5 % escomptés), les quelque treize millions de Rwandais devront donc une nouvelle fois tester leur capacité de résilience. Les vertus de discipline et d’ardeur au travail dont ils ont su faire preuve, sous la houlette d’un président désormais sexagénaire, pour qui démocratie rime avec ordre et sécurité plutôt qu’avec la conception occidentale des droits de l’homme et des libertés, devraient les y aider.
Paul Kagame : Du mieux que nous le pouvons. Le confinement nous a beaucoup aidés : il a permis de mettre en place un processus rigoureux de tests, d’isolements et de traitements. Mais, avec le déconfinement progressif, il y a eu une résurgence de cas importés de chez nos voisins dans certains districts frontaliers. Pour l’essentiel, ces contaminations sont le fait de chauffeurs routiers qui transportent des marchandises en provenance des ports de Mombasa et de Dar es-Salaam. Il nous a donc fallu prendre de nouvelles mesures restrictives dans les régions affectées, en coordination, bien sûr, avec les autorités ougandaises et tanzaniennes, car il ne s’agit pas de mettre qui que ce soit à l’index ni de prétendre que l’épidémie n’a pas d’aspects purement endogènes. Nous avons su gérer la maladie dans les centres urbains, nous faisons maintenant de même en zone rurale.
Il serait malvenu de ma part de porter quelque jugement que ce soit. Je constate de manière générale que, si chacun est conscient du problème, tout le monde ne réagit pas de la même manière. Certains sont dans le déni, d’autres non. Certains jouent la carte de la transparence quant au nombre de cas, d’autres moins. Ce que nous devons tous comprendre, c’est qu’aucun d’entre nous ne peut faire face seul à cette pandémie. L’attitude de chaque pays affecte les autres, et réciproquement. La coopération est donc absolument indispensable.
Le Rwanda a beaucoup misé sur le tourisme, qu’il s’agisse de l’écotourisme haut de gamme ou du tourisme de conférence. Or, ces deux secteurs sont très durement touchés par la crise. Comment comptez-vous limiter les dégâts ?
D’abord, en encourageant les Rwandais eux-mêmes à visiter leur pays, au rythme du déconfinement des zones d’attraction touristique. Certes, beaucoup ne disposent pas de moyens financiers équivalents à ceux des visiteurs étrangers, mais peu est toujours mieux que rien.