Deux ans après que le président américain Donald Trump a déclaré la guerre commerciale à la Chine, Washington ouvre jour après jour de nouveaux fronts : la « guerre des consulats » pour cause d’espionnage, la 5G de Huawei, la répression des Ouïghours, la mainmise sur Hong Kong et les manœuvres en mer de Chine du Sud. Tout semble bon pour pointer du doigt le rival chinois. Dans ce bras de fer, les États-Unis cherchent des alliés. Faut-il donc une « alliance des démocraties » pour faire face à une Chine autoritaire et expansionniste ?
« Le monde libre » doit « triompher » de la « nouvelle tyrannie », a martelé le secrétaire d’État américain Mike Pompeo lors d’un discours en Californie, le 23 juillet, « si nous nous inclinons maintenant, nos petits-enfants pourraient être à la merci du Parti communiste chinois ». Selon Mike Pompeo, ce « faucon » dans l’administration Trump qui défend une ligne dure contre la Chine, un « nouveau Frankenstein » menacerait les démocraties occidentales.
Derrière ces diatribes, dont la tonalité rappelle la Guerre froide avec l’Union soviétique, se cache en réalité une lutte d’influence sans merci. En pleine campagne électorale aux États-Unis et alors que le candidat républicain Trump est en perte de vitesse dans les sondages, la Chine semble être un bouc-émissaire idéal. « Les États-Unis voient la Chine comme un pays devenu trop vite trop grand, trop riche et trop puissant, dans un système autoritaire qui pourrait menacer [leurs] intérêts, estime Philip Golub, professeur de relations internationales à l'Université américaine de Paris. Je pense qu’il y a un désir dans l’administration Trump d’augmenter l’intensité de la confrontation rhétorique dans le but de créer une conflictualité pour pouvoir tenter ensuite un effort ouvert d’endiguement de la Chine. »
Longtemps frileuse, « l'Europe est en train de se réveiller »
Dans ce combat des titans, les États-Unis comptent entraîner leurs alliés.Washington a déjà réussi à convaincre Londres debannir le géant des télécoms chinois Huawei de son réseau de téléphonie mobile 5G, Paris et Berlin aussi envisagent des restrictions. Longtemps frileuse, l’Union européenne durcit également le ton face à la Chine et dénonce des violations massives des droits de l’homme. Bruxelles promet une « réponse coordonnée » face à la répression au Xinjiang et à la mainmise sur Hong Kong, n’excluant plus des sanctions économiques.
« L’Europe est en train de se réveiller face à la montée en puissance de la Chine, c’est un phénomène nouveau, cela participe de la volonté de défendre les valeurs européennes et l’État de droit », note Philippe Le Corre, chercheur à la Harvard Kennedy School. N’ayant pas de conflits stratégiques et militaires avec la Chine, contrairement aux États-Unis, il estime par ailleurs que l’UE est bien plus crédible dans sa critique vis-à-vis de la deuxième puissance mondiale.
« L'Europe ne doit pas rejoindre la croisade américaine »
Mais face à une Chine décomplexée,de plus en plus autoritaire et nationaliste, une telle diplomatie musclée n’est pas sans risques. L’époque où la Chine faisait le dos rond est révolu, aujourd’hui Pékin riposte de façon systématique. Mieux vaut alors ne pas jouer les durs aux côtés des Américains, au moment même où Bruxelles doit négocier un accord d’investissement avec son partenaire commercial crucial, prévient Philip Golub : « Je ne pense pas que l’Europe devrait rejoindre la nouvelle croisade américaine contre la Chine, car les Européens ne peuvent pas véritablement faire confiance à l’administration Trump qui a démontré son mépris des alliances. » Selon ce spécialiste des relations internationales, l’Europe est prise en tenaille entre les États-Unis qui prônent l’unilatéralisme et un régime autoritaire chinois qui ne représente pas les valeurs européennes.
« Le système chinois ne changera jamais... »
Quel impact peut avoir une « nouvelle alliance des démocraties », souhaitée par les États-Unis pour faire face à un président tout-puissant Xi Jingping qui ne cache plus son ambition de faire de la Chine la première puissance du monde ? Le spécialiste de la Chine et de l’Asie, Philippe Le Corre se montre dubitatif. Selon lui, la solution doit venir de l’intérieur de la Chine : « Le système chinois ne changera jamais grâce ou à cause d’actions de pays occidentaux », souligne-t-il, « en revanche, si la situation économique se dégrade à cause de la pandémie - et c'est actuellement le cas - et que la société chinoise paye les pots cassés de cette diplomatie à l’emporte-pièce, il pourrait très bien y avoir des problèmes politiques en Chine. »
« Nous devons parler et donner du pouvoir au peuple chinois », a lancé Mike Pompeo dans son discours en Californie, en admettant que le régime communiste redoutait « les opinions » de ses concitoyens « plus que tout adversaire étranger ».
Si les Américains veulent gagner la bataille géopolitique, ils devront donc d’abord gagner la confiance du peuple chinois. Le combat des titans ne fait que commencer.