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Jaime Nogueira Pinto : ''En Angola, l’argent facile a ébloui la classe dirigeante''
Intellectuel portugais et fin connaisseur de l’Angola, Jaime Nogueira Pinto décrypte la guerre menée par le pouvoir de Luanda contre le clan déchu de l’ancien président José Eduardo Dos Santos.

C’est l’une des nouvelles qui passent désormais inaperçues. Le 29 juin 2020, le Correio da Manhã a révélé que les autorités portugaises avaient saisi 280 millions d’euros au clan Dos Santos, dont une partie en cash dans le coffre d'une banque. Est-ce la publication en janvier 2020 du Luanda Gate qui a amené les autorités angolaises à traquer les milliards de la famille de l’ancien président ?

Non, c’est une histoire plus ancienne. L'Angola a été, après son indépendance le 11 novembre 1975 et jusqu’en 2002, le théâtre de l'une des plus longues guerres civiles du continent africain. D’abord, dans le cadre de la Guerre Froide, les rebelles de l’UNITA étaient soutenus par l’Afrique du Sud, par les États-Unis et par quelques pays africains pro-occidentaux. Le gouvernement du MPLA par l’Union Soviétique et Cuba. À la fin de la Guerre Froide, des élections se sont tenues en 1992. L’UNITA n’a pas acceptée les résultats qu’elle considérait truqués. Le soutien militaire et financier de l’extérieur pour les deux parties en présence a cessé. Depuis lors, la guerre s’est limitée aux deux adversaires principaux. Au cours de ces longues années, 1992-2002, les rebelles de l’UNITA menés par Jonas Savimbi se finançaient avec les diamants extraits des zones qu'ils occupaient et le gouvernement du Président José Eduardo dos Santos avec les exportations de pétrole. Pendant cette période, suivant l'exemple du Président lui-même et de sa famille, a débuté une vaste pratique de népotisme et de corruption qui s’est amplifiée après la paix et surtout pendant les années du pétrole cher.

Que représentent les réserves de pétrole en Angola ?

Après le Nigeria, l’Angola est le premier exportateur de pétrole brut d'Afrique subsaharienne. Et l'argent facile a ébloui la classe dirigeante, à l’instar de la famille présidentielle. José Eduardo dos Santos a été, de longue date, un habile politicien. En 2002, il a obtenu le retour à la paix après la mort de Savimbi, grâce à une politique de non-représailles et d'intégration de nombreux officiers de l'UNITA dans les rangs des Forces Armées, mais il n'a pas su contrôler son entourage, et encore moins sa famille proche. Ses enfants, issus de conjointes ou de compagnes successives, ont tiré d’importants profits dans une économie qui est passée du socialisme au capitalisme centralisé et familial. Ainsi, sa fille aînée, Isabel dos Santos, a obtenu plusieurs privilèges et monopoles dans le domaine du commerce des diamants, des télécommunications, de la banque et de la distribution.Elle a même été nommée PDG de SONANGOL, la compagnie grande pétrolière d'État, considérée comme la poule aux œufs d'or de l'économie angolaise.

Comment est-elle perçue en Angola ?

Isabel est une femme entreprenante et ambitieuse, qui avait l'habitude de mettre en avant ses talents d'entrepreneure pour justifier sa fortune? Cette situation et sa présence dans les réseaux sociaux et dans les organes de la ''presse magazine '', en tant que ''femme la plus riche d'Afrique'', lui ont valu l'hostilité des classes moyennes et des réseaux sociaux du pays, qui n'ont pas manqué de souligner, avec ironie, de tels attributs, comme si cela n’avait rien à voir avec le fait d'être la fille du Président. D’un autre côté, elle avait ses partisans qui rappelaient qu’elle avait créé des milliers d’emplois.

Qu’en est-il des autres membres du clan ?

Ses frères et sœurs plus jeunes ont suscité le même rejet dans le pays et ont été associés à une image de kleptocratie. Les critiques visaient autant les enfants que leurs mères qui se trouvaient en position de concurrence et voulaient faire bénéficier à leur progénitures les profits répartis équitablement par le père. De son coté, José Eduardo dos Santos était un homme aux habitudes frugales, discret et, hormis un goût plus que prononcé pour les vacances sur la Côte d'Azur, à Saint-Jean de Cap Ferrat, il n’était en rien comparable à d'autres dirigeants africains, comme feu Mobutu ou Bokassa.

Lorsqu’il s’est démis de ses fonctions en 2017, après 38 ans de règne, pourquoi n’a-t-il pas assuré ses arrières ?

Il a cherché à le faire. Il a démissionné pour des raisons de santé et à la suite de pressions internes au sein de sa famille et de son parti. Ensuite, le Président a voulu protéger les intérêts de sa famille en négociant sa sortie. Celui qui aurait peut-être été choisi comme son successeur – puisqu’il était une sorte de « frère », non pas de sang, mais d’éducation - l’ingénieur Manuel Vicente, le « patron » de la SONANGOL, n’avait pas les références nécessaires, ni au sein du parti ni des militaires, pour être accepté par le Bureau politique du MPLA.

Ne suffit-il pas d’être désigné par le président pour lui succéder ?

Non. Il faut être soit un militant important et de longue date du parti, soit un militaire ayant joué un rôle dans la guerre civile. Manuel Vicente est un ingénieur et un gestionnaire, considéré comme très compétent (et l'une des plus grandes fortunes de l'Angola), mais il n’appartient à aucune de ces catégories. C’est le Général João Lourenço qui a été choisi, après de longues négociations entre le Palais et le Parti. Lourenço est un militant de la deuxième génération du MPLA, il a été Secrétaire Général du Parti, Commissaire des Forces Armées. Il avait bien le profil. Il est tombé en disgrâce lorsque, après qu'Eduardo dos Santos a annoncé au début des années 2000 qu'il se retirait du pouvoir, il s'est déclaré disponible pour la course à la direction du Parti. Cela lui a valu un « exil interne » en tant que 2ème vice-Président de l'Assemblée Nationale ; mais il a été nommé Ministre de la Défense Nationale en 2014. C'est un homme discret, éloigné des projecteurs et de la vie sociale et de l'ostentation des autres membres de la nomenclature angolaise connus sous le nom de « Marimbondos » (NDLA : une sorte de guêpe en portugais), durant les années dorées qui ont suivi la paix, lorsque le pétrole dépassait les 100 dollars le baril.

Le président Lourenço a-t-il manifesté son intention de lancer une opération mains propres et récupérer les biens spoliés ?

Lorsque João Lourenço a été élu Président de l'Angola en 2017, il était conscient de la mauvaise réputation du pays sur la scène internationale en raison de la corruption et du népotisme - et aussi des critiques internes. Il s’est rendu compte que s'il ne faisait rien au cours des premiers mois de son gouvernement, il serait considéré comme une marionnette de son prédécesseur qui, entre-temps, était resté Président du parti MPLA, ce qui, dans la tradition des régimes marxistes, lui conférait une influence et un pouvoir très importants. Il a alors opté pour la rupture, en lançant une campagne de lutte contre la corruption et en éloignant des hauts postes du pouvoir et de l'administration des entreprises publiques, les éléments liés à son prédécesseur, y compris sa propre famille.

…Un peu comme Poutine contre les oligarques qui l’avaient soutenu.

Pas vraiment, car si Lourenço bénéficie de bons appuis au sein des structures du pouvoir de l'État - dans le parti MPLA, dans les Forces Armées et dans la Sécurité de l'État, il n’en compte pas parmi les personnalités hautes placées au temps de son prédécesseur. Enfin, il a un bon conseiller économique et financier en la personne de son épouse, Ana Dias Lourenço qui a été ministre de la Planification et qui a exercé de hautes responsabilités au sein de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de Développement.

Comment le clan Dos Santos a-t-il réagi lorsque le président leur a déclaré la guerre ?

Ils ont voulu résister en utilisant l'influence de leur père qui était président du Parti. Le Comité Central du Parti a réagi de manière très virulente et lorsque José Eduardo dos Santos a annoncé son intention de rester à la tête du Parti, il a été hué par quelques participants. Un groupe d'anciens du Bureau Politique, sous l’égide de l’ancien Premier Ministre Lopo do Nascimento et d’un prestigieux ex chef militaire, le Général França Ndalu a alors convaincu Eduardo dos Santos d'opter pour un retrait volontaire, un « honorable way out ».

Comment le président Lourenço peut-il prouver aujourd’hui qu’il ne sera pas lui aussi tenté de profiter de la manne pétrolière ?

Il a adopté un style plus simple, plus proche du peuple, qui va à l’opposé de son prédécesseur qui sortait toujours entouré d’un important dispositif de sécurité. João Lourenço a répondu positivement à une vieille réclamation de l'UNITA en organisant des funérailles publiques pour Jonas Savimbi et il a maintenu des contacts plus ouverts avec les dirigeants successifs de l'UNITA, Isaías Samakuva et Adalberto Costa Júnior. Il entretient également de bonnes relations personnelles avec Abel Chivukuvuku l'un des plus brillants hommes politiques angolais. J’ajouterai que la situation n’est pas aussi rose que dans les décennies passées. Le pays a été durement touché depuis 2014 par la chute du prix du pétrole. D'autre part, le manque d'investissement dans de nouveaux blocs a entraîné une chute progressive de la production, qui est passée d'environ 650 millions de barils en 2015 à 540 millions en 2018. Enfin, le pays est assez endetté. Au début des années 2000, Pékin a investi massivement en Angola. Les banques chinoises ont accordé d'importants prêts au pays en échange de garanties d’approvisionnement en pétrole. D'où une dette élevée à la Chine - qui dépasse aujourd'hui les 20 milliards d'euros, que le pays paie en pétrole - et l’inquiétude des dirigeants de Luanda, qui souhaitent sortir progressivement de la dépendance chinoise et l’équilibre avec d’autres partenaires.

Justement des négociations sont en cours avec Pékin pour un rééchelonnement de la dette, est-ce que les Chinois vont se montrer compréhensifs ?

On espère que oui. L’Angola est, parmi les grands pays de l’Afrique Subsaharienne, le plus stable du point de vue de la construction de l’État et même de la Nation. Il en est ainsi parce que le pays est passé par le processus habituelle de la construction nationale : guerre d’Indépendence, guerre civile, réconciliation nationale. Au cours de la guerre civile, à travers d’un douloureux processus, le pays a accéléré la détribalisation, l’urbanisation, l’intégration des dirigeants, groupes et identités. Pour ce qui concerne l’économie les ressources pétrolières, le coût moyen du pétrole angolais est d’environ 20 dollars. A la date du 9 Juillet, avec un Brent au-dessus de 40 dollars (42,41), la situation est difficile, mais pas tragique. Les Angolais sont des nationalistes pragmatiques qui ont toujours été capables de gérer leurs dépendances vis-à-vis de l’extérieur. Actuellement, avec la tension entre la Chine et les Etats Unis et ces deux puissances montrant un intérêt dans la poursuite de bonnes relations avec Luanda, le Président et son équipe jouent un jeu d’équilibre dans l’intérêt du pays avec leurs partenaires internationaux, dont, bien sûr, aussi les Européens.

Comment voyez-vous les conséquences de la pandémie Corona Virus, pour l’Angola du point de vue sanitaire et économique ?

Du point de vue sanitaire, d’ailleurs comme dans le cas de beaucoup des pays de l’Afrique tropicale et subtropicale, l’impact de la pandémie a été très limité. Le 9 Juillet, l’Angola enregistrait 386 cas et 21 morts. Cette situation est probablement due au climat, à l’extrême jeunesse de la population (un âge moyen de 15 ans) et surtout à l’immunité créée par les autres fléaux – le SIDA, la malaria, le choléra – qui ont toujours atteint la population. Le problème des conséquences économiques pour l’Angola, comme pour toute la région, va être bien plus sérieux. C’est pourquoi la question de la dette est extrêmement importante, surtout s’agissant du paiement des intérêts, qui sont une grande charge pour le Budget. Si le pays doit effectivement payer les cinq milliards d’intérêts dus en 2020, ce sera vraiment très difficile a supporter pour les comptes de l’État. La dette extérieure angolaise avoisine les 48 milliards de dollars, dont presque la moitié, soit 23 milliards, dus à la Chine - l'État Chinois et les banques – pour la plupart des créances commerciales. Finalement, parmi les puissances de l’Afrique subsaharienne – la Nigeria, l’Afrique du Sud, le Kenya –, l’Angola a des avantages. A une époque ou les identités - ethniques et religieuses – sont bien plus que les classes sociales, les sources des conflits, elle a avancé dans la « détribalisation » ; Par ailleurs la quasi-totalité de la population est de confessions chrétiennes. Et le pays dispose de Forces Armées expérimentées et bien équipées.

Le Professeur Jaime NOGUEIRA PINTO est Docteur en Sciences Politiques, consultant sur l'Afrique auprès d'organisations internationales publiques et privées. Il a dirigé la revue Futuro Presente et publié plus d'une dizaine d'ouvrages sur l'histoire des idées ou le monde contemporain. Il collabore régulièrement à différents médias et Think Tanks. Il est membre de la Real Academia de Ciencias Morales y Politicas à Madrid et de ''The Heritage Foundation'' à Washington.

Source: Paris Match