Les pervers narcissiques représentent 2 à 3 % de la population. Que faire lorsqu'un proche entretien une relation amoureuse avec l'un d'entre eux ? Isabelle Nazare-Aga, psychothérapeute, conférencière et auteure de l'ouvrage ''Les manipulateurs sont parmi nous'' livre ses conseils.
En amour, en amitié ou au travail, personne n’est à l’abri de croiser un jour la route de ce que l’on appelle un ''pervers narcissique'' en psychanalyse. Ils représentent 2 à 3 % de la population et entrent dans la catégorie des manipulateurs. En psychiatrie, on parle également de ''trouble de la personnalité narcissique''. Quel que soit le terme utilisé pour les désigner, ces individus, hommes ou femmes, suivent un modèle de perversité dans leurs relations avec les autres. Leur objectif ? Nourrir leur narcissisme. Contrôler leur proie en est le moyen.
Problème : sous emprise, les victimes de ces personnalités toxiques ont souvent bien du mal à prendre conscience de la relation destructrice dans laquelle elles se trouvent. C’est pourquoi leurs familles et leurs amis peuvent être d’une aide précieuse. Mais comment aider un proche victime de manipulation dans le couple ? Pour y parvenir, encore faut-il savoir reconnaître un pervers narcissique.
Comment reconnaître un manipulateur ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sont pas nécessairement les comportements du manipulateur qui éveillent les soupçons des proches dans un premier temps. Les comportements de la victime en disent également long sur ce qu’elle vit. Au début de la relation, son discours est souvent dithyrambique : elle décrit son partenaire comme parfait et peut le présenter à ses proches comme étant ''l’homme ou la femme de sa vie''.
Il s’agit d’un véritable indice car personne n’est parfait : cela signifie que le manipulateur se montre sous son meilleur jour et qu’il a donc commencé à tisser la toile dans laquelle il prévoit de piéger sa proie. Il suit alors un schéma type, généralement composé de trois phases. Pour repérer un pervers narcissique et aider un proche qui en est victime à s’en sortir, il est essentiel d’apprendre à reconnaître ces trois étapes clé.
Pervers narcissiques : les étapes de la relation amoureuses
Phase 1 : la séduction et l’emprise
Le manipulateur endosse le rôle du partenaire idéal. Cadeaux, déclarations d’amour, compliments, petites attentions… Il ne lésine pas sur les moyens pour que sa victime tombe éperdument amoureuse de lui. Il lui fait également savoir qu’il ne peut pas se passer d’elle et commence ainsi à l’éloigner de manière insidieuse de ses proches et de sa famille. Cette phase se termine généralement par un tournant dans la relation, induit de façon précoce - parfois quelques semaines après la rencontre - par le manipulateur. Il peut s’agir d’un emménagement, voire d’une demande en mariage ou d’un projet d’enfant.
Phase 2 : la vie en commun
Lorsque cette phase est entamée, le manipulateur montre un tout autre visage. Les compliments disparaissent et les petites attentions laissent place aux critiques. Tout ce que le manipulateur soulignait comme étant des qualités chez sa partenaire devient des défauts. S’il la considérait ''organisée'', il dira désormais qu’elle est ''rigide''. S’il saluait ses bonnes relations avec sa famille et ses amis, il considérera qu’elle accorde trop de temps à ses proches, au détriment de son couple.
Pour continuer à distancer la victime de son entourage, le manipulateur n’est jamais frontal : il n’interdit pas à sa partenaire de voir ses proches, mais les dénigre un à un de façon subtile après les avoir rencontrés. Il utilise également le chantage affectif et la culpabilisation pour arriver à ses fins. Un phénomène d’autant plus vrai quand il s’agit de proches ayant une proximité et une influence toute particulière sur la victime. L’objectif du manipulateur ? Eloigner sa partenaire des personnes qui pourraient déceler sa toxicité.
Pour semer le doute dans l’esprit de sa victime et asseoir son emprise, le manipulateur pratique également la ''double contrainte''. Son but ? La mettre face à deux pressions contradictoires. Le manipulateur peut par exemple demander à sa compagne d’acheter des pommes. Si cette dernière opte pour des pommes golden, il lui dira que cette variété n’est pas bonne. La fois suivante, la victime achètera des pommes gala : le manipulateur lui dira alors que ces pommes sont trop chères. Et ainsi de suite.
Au cours de cette phase, qui peut durer des mois ou des années, le comportement de la victime change petit à petit. Elle perd sa joie de vivre, s’interroge sur son intelligence et ses qualités. Une réalité qui a un impact sur sa santé : des troubles digestifs, des poussées d’eczéma, des céphalées, des crises d’angoisse et des troubles du sommeil peuvent survenir. En cause ? Le stress induit par le manipulateur et la relation toxique dans laquelle la victime se sent désormais enfermée.
Phase 3 : la prise de conscience
Il n’est pas rare que la phase précédente de la relation aide la victime à ouvrir les yeux sur ce qu’elle vit. Mais cela ne veut pas dire qu’elle est prête à prendre les décisions qui s’imposent pour se séparer du manipulateur !
Manipulation : comprendre l'état d'esprit de la victime
Il existe plusieurs raisons pouvant expliquer le fait qu'une victime de pervers narcissique ne quitte pas son partenaire :
La victime est dans le déni
Certaines personnes perçoivent qu’elles sont dans une relation toxique mais ne veulent pas totalement ouvrir les yeux sur la situation, car cela les obligerait à changer de vie. Une perspective qui paraît impossible à surmonter à cause des croyances de chacun, comme la quête de l’âme sœur, le refus du divorce ou encore le prétendu bien-être des enfants.
La victime est dépendante affective
La peur de vivre seule et de ne pas avoir de compagnon de route peut figer certaines victimes. Si elles souffrent en plus de dépendance affective, elles auront d’autant plus de mal à quitter leur partenaire, aussi toxique soit-il.
La victime a perdu confiance en elle
Le manipulateur a tellement fait douter sa victime, qu’elle se demande si le constat qu’elle a fait sur sa relation est le bon et si ce n’est pas plutôt elle qui est en cause. Elle a tellement perdu confiance en elle qu’elle pense également qu’elle ne parviendra pas à se débrouiller sans son partenaire.
Lorsque la victime ouvre réellement les yeux sur sa relation et évoque la rupture, le manipulateur utilise là encore le chantage affectif et la culpabilisation pour retenir sa partenaire. Il peut par exemple lui dire : ''Tu ne peux pas nous faire ça après tout ce que nous avons construit'' ou ''Si tu me quittes, tu n’auras pas la garde des enfants''. Certains manipulateurs vont également jusqu’à faire du chantage au suicide : ''Tu auras ma mort sur la conscience''. Si la victime n’est pas accompagnée par un professionnel, il n’est pas rare qu’elle fasse machine arrière et reste avec le manipulateur.
Manipulation : que dire à un proche victime d'un pervers narcissique ?
Dans ce schéma bien défini, les proches ont incontestablement un rôle à jouer. La première chose à faire est de trouver le bon moment pour parler à la victime. Il faut alors miser sur le degré d’amitié et de proximité affective entretenu avec elle pour lui dire tout ce que l’on pense. Les mots d’ordre ? Sincérité et bienveillance. Il s’agit évidemment d’une prise de risque : il est possible que les propos des proches soient mal accueillis par la victime et que celle-ci souhaite par la suite prendre ses distances, voire couper les ponts. Pourtant, il est essentiel de réagir.
Au cours de cette discussion il est important que le proche explique à la victime qu’il observe sa relation depuis longtemps et qu’il en a compris les rouages : son compagnon est toxique et elle n’est plus la même depuis qu’elle est avec lui. Pour tenter de provoquer une prise de conscience, il convient d’argumenter, en expliquant que depuis qu’elle l’a rencontré, elle ne sourit plus, elle ne sort plus, elle évite ses proches et décline les invitations au dernier moment. La conclusion de cette discussion est essentielle :
''Tu vas peut-être m’en vouloir, tu vas peut-être vouloir couper les ponts avec moi, mais je prends le risque de te dire tout ça car je t’aime et que je veux que tu sois heureuse. Sache une chose : même si tu ne veux plus me parler, je serai toujours là pour toi. Et si ça tourne mal avec lui, que ce soit dans une semaine, un mois ou des années, ma porte te sera toujours ouverte''.
Comment aider une personne victime de manipulation ?
Autre option : aider la victime à ouvrir les yeux autrement que par la parole. Pour ce faire, il convient de trouver un ouvrage parlant des manipulateurs dans le couple et de le mettre entre les mains de la victime. Mais pas n’importe comment ! L’ouvrage doit être envoyé sur son lieu de travail, afin d’éviter que le manipulateur ne tombe dessus au domicile. Pour encore plus de discrétion, notamment auprès des collègues de travail de la victime, il est possible de cacher la couverture avec du papier kraft par exemple.
Cette méthode a plusieurs avantages : comme les comportements des manipulateurs sont stéréotypés, la victime a de fortes chances de se retrouver à travers le descriptif fait dans le livre. Et puisque l’auteur du livre ne la connaît pas et n’a pas écrit son ouvrage spécialement pour elle, la victime ne se sentira pas jugée et ne se braquera pas. Un phénomène qui favorisera une éventuelle prise de conscience.
Quelle que soit l’option choisie, les proches doivent ensuite rediriger la victime vers un professionnel, comme un psychologue ou un psychothérapeute, car leur rôle à des limites. L’intervention d’une personne extérieure est essentielle pour se sortir des griffes d’un manipulateur, mais aussi pour se reconstruire après une relation toxique.
Merci à Isabelle Nazare-Aga, psychothérapeute, conférencière et auteure des ouvrages ''Les manipulateurs et l’amour'' et ''Les manipulateurs sont parmi nous'' (Les Editions de l’Homme). Un jeu de cartes adapté de ce dernier ouvrage sortira le 17 septembre. Il a pour but d’appendre à déjouer les provocations des manipulateurs et à acquérir de la répartie.