Pascal Lissouba, atteint de la maladie d’Alzheimer durant ses dernières années de vie, est décédé ce lundi 24 août à Perpignan, dans les Pyrénées-Orientales. Le professeur Lissouba aimait cette région française, sa verdure et ses montagnes. Bien loin de Paris et de ses officines. Pascal Lissouba ou le destin d’un scientifique saisi par le politique, à la fois Premier ministre, président et… chef de guerre.
« Je partirai après Omar, Edith Lucie, Chirac et Sassou »… Pascal Lissouba est assis dans un fauteuil de confort, sur la terrasse de la belle villa de Perpignan. Son médecin personnel est à ses côtés. L’ancien directeur de campagne de Pascal Lissouba pour la présidentielle de 1992, Marc Mapingou, se souvient, lui aussi de cette phrase qui claque comme un rappel de l’histoire du Congo-Brazzaville. « C’était avant qu’Edith Lucie, l’épouse d’Omar Bongo et fille aînée du chef d’État congolais Denis Sassou Nguesso, ne tombe malade et ne décède au Maroc, en mars 2009. Le président Lissouba me dit alors : je partirai après ces quatre-là… » S’agit-il des dernières paroles politiques de l’ancien président congolais ? Au fil des mois, à Perpignan, Pascal Lissouba plonge dans le silence et se coupe du monde, de sa famille et des visiteurs. La maladie envahit l’ancien chef d’État.
Omar m’a tué…
À Marc Mapingou, il confie un jour : « En 1977 Bongo m’a sauvé la vie et en 1997 le même Bongo m’a tué. » Le 18 mars 1977, quelques heures après l’assassinat du président Marien Ngouabi, Pascal Lissouba est mis aux arrêts sur ordre du ministre de la Défense… Denis Sassou-Nguesso. Le 25 mars, une cour martiale le condamne à mort pour complicité dans la conspiration qui conduit à la mort de Ngouabi. Des intellectuels, des hommes de sciences français et africains s’émeuvent. Mais c’est l’intervention d’Omar Bongo Ondimba auprès de Denis Sassou-Nguesso qui permet la libération de Pascal Lissouba. Il évite le peloton d’exécution. Bongo le sauve. Nous sommes en 1977. Vingt ans plus tard, en 1997, Lissouba perd le pouvoir après 5 mois et demi de combats acharnés dans Brazzaville contre le chef rebelle Denis Sassou-Nguesso. Le « professeur » est persuadé que les armes de Sassou transitent par le Gabon, qu’Omar l’a trahi. Avec la bénédiction de Jacques Chirac. Bongo et Chirac, deux « traîtres » à ses yeux.
Document : Le 25 mars, une cour martiale condamne Pascal Lissouba à mort pour complicité dans la conspiration qui conduit au décès du président Marien Ngouabi le 18 mars 1977. Pascal Lissouba est emprisonné. Persuadé de mourir, il écrit, en prison, son testament dont nous publions ci-dessus un extrait : « Si je meurs, quelles qu’en soient les circonstances, je demande le respect stricte de ce qui suit (…) Pas de fleurs. Des chants, des chœurs, des danses du pays… ».
1977 marque pour toujours Pascal Lissouba. Persuadé de mourir, il écrit, en prison, son testament. Une fois libre, c’est le premier exil, onze années passées en France, entre 1979 et 1990. Il enseigne la génétique à l’université de Créteil puis entre à l’Unesco en 1985 comme directeur du secteur sciences exactes et naturelles.
La guerre des « boukouteurs »
Avant de quitter le Congo, il promet d’abandonner la politique, promesse faite à Omar Bongo. En 1991, la conférence nationale le rappelle à la politique. Mais avant de rentrer à Brazzaville, Pascal Lissouba passe par la case Libreville. Reçu au Palais du bord de mer, Omar Bongo le délit de sa promesse. Lissouba renoue avec la politique qu’il n’a jamais abandonnée véritablement, même de loin. Le Professeur a le virus. Quand Massamba-Debat est élu président de la République en 1963, il nomme Pascal Lissouba comme Premier ministre. Lissouba n’a alors que 32 ans, il est le plus jeune politique à occuper la Primature. Et ne manque pas d’idées : diversification de l’activité économique et diversification des coopérations et des investisseurs. Le gouvernement d’alors se tourne vers la Chine et le bloc communiste. Les Occidentaux en font les frais. Le 15 avril 1966, il démissionne. Les divergences avec Massamba-Debat deviennent trop fortes, notamment sur le dossier des nationalisations.
La conférence nationale de 1991 est une nouvelle tribune pour lui. Les délégués restent bouche ouverte, cois. Pascal Lissouba ne prononce pas un discours politique à proprement parler, il ne flatte pas, ne galvanise pas des troupes. Lissouba est là pour démontrer : tableaux, fiches à l’appui, il dresse un état des lieux et des propositions dans un document intitulé « Instauration et organisation de la démocratie au Congo – Pour le redressement, le développement et l’unité ». Objectifs à atteindre, moyens, résultats attendus… Si l’homme, derrière ses épaisses lunettes, a un certain charisme, dégage une autorité, son discours, bien éloigné de simples slogans et sentences à l’emporte-pièce, déroute.
L’histoire du Congo n’est pas un long fleuve tranquille. En 1993-1994 puis en 1997, le pays s’enfonce dans une guerre civile très meurtrière. Deux hommes, Pascal Lissouba et Denis Sassou-Nguesso – deux destins liés font et défont cette Histoire. À laquelle se convie un troisième homme, Bernard Kolélas, ennemi un jour, allié un autre… « C’est la guerre des ''boukouteurs'', des profiteurs, des vendeurs d’or noir, des chefs de guerre avides de pouvoir », résume un journaliste congolais.
Les meilleurs ennemis au monde
Lissouba – Sassou, deux ennemis intimes… Un dessinateur caricaturiste pourrait ainsi croquer, en forçant le trait, les deux hommes : le premier est un animal politique à sang froid, le second est un animal politique à sang chaud. L’un, Lissouba, met toujours une certaine distance entre lui et les autres et pense toujours être compris sans avoir besoin de beaucoup expliquer, certains évoquent une forme de naïveté. L’homme cultive une réserve qui peut passer pour de l’orgueil. Pascal Lissouba reste en fait le « professeur », comme l’appellent avec déférence, voire tendresse, ses amis et partisans. L’ancien prof de génétique veut bien satisfaire à quelques pas de danse, mais guère plus. Il veut bien être convivial, mais sans d’intempestives effusions. Denis Sassou-Nguesso, lui, c’est le militaire. Il connait ses compatriotes, leur psychologie. Le sapeur sait être charmeur, calculateur. L’animal à sang chaud sait se montrer redoutable. « C’est comme un sixième sens chez lui, Sassou cultive au plus haut degré l’instinct de conservation », confirme notre collègue congolais. Ainsi vont Lissouba et Sassou, deux vieux ennemis de trente ans, le socialiste scientifique et l’officier rouge, deux frères des Loges maçonniques irréconciliables.
« Ils n’ont été courtois entre eux, mais par pur opportunisme, qu’en 1992, pour l’élection présidentielle », se souvient ce journaliste congolais. Le PCT, le Parti congolais des travailleurs, l’ancien parti unique, s’allie entre les deux tours à Pascal Lissouba et l’UPADS, l’Union panafricaine pour la démocratie sociale, pour faire front au MCDDI, le Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral, de Bernard Kolélas. Lissouba remporte le premier scrutin au suffrage universel au Congo. Le PCT veut sept portefeuilles. Il en obtient deux. La lune de miel est de courte durée. Le PCT rompt l’alliance. Pour Sassou, « Lissouba a rusé. Dès son élection, il a considéré notre accord comme un bout de papier qu’il a déchiré. Je n’avais aucune raison de douter ou de me méfier de monsieur Lissouba ».
Document : Pascal Lissouba est élu président du Congo en août 1992. Omar Bongo lui écrit une lettre dans laquelle le président gabonais multiplie les conseils : « Pour un gouvernement du départ, il faut contenter tous les alliés, quitte à réviser ta position par la suite. J’attends ta réaction si cela est possible. Bien fraternellement à toi. »
1992 marque un tournant dans la vie démocratique du Congo. L’élection présidentielle fait paraître 3 grands pôles régionaux : la Cuvette et les régions mbochi qui sont les fiefs de l'ex-parti unique et de son candidat l'ancien président Denis Sassou-Nguesso, le Pool, autour de Brazzaville, où le MCDDI de Bernard Kolélas obtient presque deux tiers des voix et enfin les régions du Niari, Bouenza et Lekoumou (surnommées pays NiBoLek), au sud-ouest, où Pascal Lissouba dépasse 80 % des suffrages. Mais Lissouba n'est pas l'élu de Brazzaville où il ne remporte que 17 % des suffrages. Pour le professeur, Brazza reste un abcès. Tous les observateurs de la vie politique congolaise l’affirment : le paysage du scrutin de 1992 est moins ethnique que régional. Pascal Lissouba veut incarner une modernité régionale, éloignée d’un ethnicisme archaïque. Le Professeur entend tirer l’Afrique par le haut. En février 92, lors d’un meeting, il prononce cette phrase qui marque tous les esprits : « Je suis venu pour vous servir, et non pas pour me servir. » L’homme est populaire dans le NiBoLek, mais pas seulement : il réussit à créer une dynamique de vote en sa faveur dans le Kouilou, les Plateaux et la Sangha. Ce travail de « labourage » électoral a été préparé de longue date : lorsqu’il fonde l’UPADS en juillet 1991, Pascal Lissouba sait s’entourer, notamment de jeunes politiciens, des lieutenants qui parcourent le pays et implantent le parti dans la population. Lissouba a marqué des points et réussit sa campagne électorale.
Mais 1992, c’est aussi cette alliance contre nature avec le PCT et Denis Sassou-Nguesso. Les promesses non tenues par Pascal Lissouba restent en travers de la gorge de Denis Sassou-Nguesso. La rancune est forte et la vengeance est un plat qui se mange froid… Lissouba le comprend cinq ans plus tard, en 1997.
Chirac n’a pas le nez creux
Nous sommes le 18 juillet 1996, à peine un an avant la terrible guerre civile de juin 1997, Jacques Chirac est tout sourire, heureux de fouler la terre de Brazzaville, l’ancienne capitale de la France libre. Le président français prononce un discours devant les deux chambres réunies du Parlement congolais. L’ombre du général de Gaulle plane. D’ailleurs Chirac l’Africain cite à plusieurs reprises l’homme de l’appel du 18 juin. Ses mots résonnent étrangement des années après : « Que ne dit-on sur l’Afrique ! s’exclame du haut du perchoir Jacques Chirac. Depuis quelques années, un pessimisme complaisant s’affiche (…) Finissons-en avec les descriptions apocalyptiques de l’Afrique ! (…) Je salue les Africains qui font mentir les vieux clichés : l’Afrique violente, l’Afrique des féodalités et des prébendes, l’Afrique des fractures ethniques. » Quelques mois plus tard, les rues de Brazzaville sont jonchées de cadavres et tapies de douilles. L’Avenue de la Paix, dans le centre-ville, est un champ de bataille. La Croix-Rouge congolaise, dépassée, profite de quelques accalmies pour ramasser les cadavres, entassés dans les bens de camion, jetés dans des fosses communes creusées à la va vite. Les chiens, ici et là, sont de la « fête » et éventrent des corps rendus flasques par un soleil de plomb. Pour Lissouba, son malheur, sa chute en octobre 1997, vient principalement de deux hommes qui l’ont lâché : Chirac et Bongo.
Perruques blondes, gris-gris et AK 47
Quartier Mpila. 5 heures 45, le 5 juin 1997, deux mois avant la présidentielle prévue du 27 juillet. Le commandant Jean Olessongo Ondaye réveille Denis Sassou-Nguesso. La vaste résidence est encerclée par des éléments de l’armée et des blindés. Sur ordre de Pascal Lissouba. Simple opération de police ? Déploiement pour tuer dans l’œuf un coup d’Etat qui se trame ? Denis Sassou-Nguesso quitte sa résidence et laisse ses miliciens cobras riposter. Brazzaville, cette nuit-là, s’enflamme. Les armes, lourdes et légères, en quelques heures, sortent de toutes parts. De juin à octobre, la guerre fait entre 4 000 et 15 000 victimes. Dans ce chaos installé, on ne compte plus et tout bilan précis est impossible. Les milices Ninjas de Bernard Kolélas et les Zoulous de Lissouba affrontent les Cobras de Sassou. La « mode » libérienne ou sierra-léonaise est arrivée jusqu’à Brazza : les miliciens arborent perruques blondes ou vertes, portent des gris-gris protecteurs autour du coup et des poignets. Les yeux sont vitreux, par manque de sommeil et sous l’effet de drogues.
« J’étais dans mon lit…. »
Cinq jours après le déclenchement de la guerre, Denis Sassou -Nguesso déclare dans le journal français Libération : « Il [Pascal Lissouba] m’a agressé, c’est un fait. Quand je regarde par la fenêtre, je vois encore, à 150 mètres, l’un des blindés qui m’a envoyé une roquette. Mais on ne va pas réduire le conflit à un problème personnel (…) En 5 ans, il a mené deux guerres, la première en 1993, contre Bernard Kolélas dans les quartiers sud et maintenant, la seconde contre moi, dans les quartiers nord de Brazzaville. »
Ailleurs, Sassou affirme : « On ne fait pas un coup d’État en dormant dans son lit. » Côté Lissouba, on est convaincu que Denis Sassou-Nguesso prépare un coup d’Etat. « Nguesso sait qu’il ne peut revenir au pouvoir par les urnes donc il utilise la force. » Pascal Lissouba, au cours de cette nuit du 5 juin, aurait donc voulu couper l’herbe sous le pied de Sassou. « Mais il s’y est pris trop tard, explique un de ses anciens proches. C’était un secret de polichinelle à Brazza que Nguesso s’était lourdement réarmé. C’est vrai par ailleurs que Pascal Lissouba était hanté par l’idée d’être obligé de faire une passation de pouvoir avec Denis Sassou-Nguesso. Je crois que chacun savait que les armes allaient parler, chacun s’y préparait. La guerre était-elle inéluctable ? Je le crois… ». Dans les jours qui suivent le 5 juin, Ouenzé, Poto-Poto, Moungali, Talangaï, Mpila, Mounkondo, les quartiers nord de la capitale se transforment en théâtre d’opérations militaires. Les BM-21, les orgues de Staline, les hélicoptères MI-24 achetés en Kirghizie entrent dans la danse macabre.
Dans la vie civile, il s’appelle Jean-Marie Tassoua et exerce la profession d’assureur-réassureur. Dès juin, il rejoint Denis Sassou-Nguesso. Son nom de guerre : général « Giap ». Métier : conseiller militaire de Sassou. Le général Giap fait un jour cet aveux : « Si nous avons gagné la guerre, c’est grâce aux amis personnels du président Denis Sassou-Nguesso. » Le 12 octobre, les troupes angolaises pénètrent dans le sud-ouest du Congo. Les 13 et 14, Sassou investit tout Brazzaville et Pointe-Noire. Les jeux sont faits. Le professeur Lissouba quitte le Congo le 19. Moins d’une semaine plus tard, Sassou s’installe dans le fauteuil présidentiel.
« Sassou Nguesso, qui est-il ? »
Les amis d’alors de Denis Sassou-Nguesso sont le Gabon, l’Angola, le Tchad, l’Afrique du Sud, la Namibie, au-dessus desquels plane l’ancienne métropole et la puissante multinationale Elf.
« Au pays de l’or noir, tous les coups sont permis, dit un ancien député congolais. Mais l'Histoire est complexe : si l’Elysée a bien lâché Lissouba, Elf a joué sur les deux tableaux – le professeur et Sassou - pendant quelque temps, attendant de voir de quel côté la balance allait pencher. Nous avons tous cette phrase de Loïc Le Floch-Prigent en tête prononcée en 1996 : '' Le Congo est sous le contrôle d’Elf ''. Une phrase malheureuse, car elle a suscité tous les fantasmes ici, Elf, les barbouzes, les mercenaires, le pétrole, le complot de la France et du Gabon contre Pascal Lissouba. Saurons-nous un jour démêler le vrai du faux ? »
En novembre 2001, Pascal Lissouba accorde à RFI un entretien. Il est alors en exil à Londres depuis presque 5 ans. « Je suis le président élu, Sassou n’est pas élu. D’ailleurs monsieur Sassou-Nguesso, qui est-il ?, s’interroge le professeur. Pour vous [les Français] il est le chef, vous l’avez reconnu de facto. Vous le prenez puis vous le remettez au pouvoir, vous qui êtes les Maîtres de la démocratie depuis deux ou trois siècles. »
Dans un grand soupir, fait de lassitude, d’agacement et d’une envie d’être cru sur paroles, Pascal Lissouba termine ainsi cette conversation : « Je suis un démocrate, ô mon Dieu. »