« La Cemac et la France ont conclu un accord pour passer du CFA à l’éco ». C’est l’annonce que des officiels Camerounais ont faite la semaine dernière à des investisseurs internationaux. Selon leurs précisions, tout comme le processus qui est mené dans la zone jumelle de l’Uemoa, la nouvelle monnaie serait toujours liée à l’euro sur la base d’une parité fixe, mais les Français ne figureraient plus dans les instances sous-régionales de gestion de la monnaie.
Une légère différence cependant, le rapatriement des réserves hors du compte des opérations du trésor public français ne serait pas acté, comme c’est le cas pour l’Uemoa, mais la Cemac n’aura plus l’obligation d’effectuer cette consolidation des réserves de change en France. « À nos demandes de précisions, les autorités camerounaises ont nuancé leur propos en déclarant que c’était une option, et que pour le moment, c’est le statu quo qui prévalait en matière de coopération monétaire » a indiqué notre source sous le couvert d’anonymat, car les discussions sur ce sujet n’étaient pas publiques.
Cette information est proche de ce qu’ont rapporté, il y a peu, des sources proches de la Beac. Selon ces dernières, le dossier qui a été confié à la banque centrale de la Cemac sous la supervision de l’Union monétaire d’Afrique centrale (Umac) en novembre 2019, serait déjà bouclé, et n’attend plus que l’annonce du président camerounais Paul Biya, en sa qualité de président en exercice de la Cemac.
« Nos amis de l’Uemoa ont pris la décision de créer l’éco. Mais naturellement l’éco fait écho en Afrique centrale. Nous sommes en train de négocier… Donc ce dossier est en cours » avait confié Daniel Ona Ondo, président de la commission de la Cemac, lors d’une visite effectuée le début février 2020 au président Ali Bongo à Libreville au Gabon. Il confirmait déjà l’existence de tractations effectives autour du franc CFA de la Cemac.
Circonspection
La prudence des leaders de la Cemac quant à l’annonce au grand public du plan de réforme de la coopération monétaire est compréhensible. Le processus dans la zone Uemoa est aujourd’hui dans l’impasse, tiraillé entre plusieurs intérêts. Il y a tout d’abord la pression des opinions publiques africaines pour que soit arrêtée, sans autre forme de procès, cette coopération monétaire, comprise comme une « servitude monétaire ». Il y a ensuite la volonté affichée de la France de garder l’initiative sur la question monétaire dans ses ex-colonies d’Afrique subsaharienne. Pour cela, le processus à son niveau prend la forme d’un passage en force.
Il y a enfin le Nigéria, puissance pétrolière et économique d’Afrique. Bien que n’ayant aucune alternative à proposer pour garantir la stabilité monétaire, son président Muhammadu Buhari ne souhaite pas voir le processus de la création de l’éco, la monnaie commune de la Cedeao, envahie par des parties prenantes étrangères. Une adoption de l’éco par la zone Cemac viendrait raviver la colère qu’il a exprimée récemment, à l’endroit de ses collègues francophones de l’Uemoa.
Cette position du Nigéria trouve d’ailleurs un écho favorable auprès de certains leaders de la Cemac, comme le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. « Nous avons abordé cette question qui consiste à nous libérer de notre partenaire monétaire, car nous sommes déjà une sous-région capable de se prendre en charge sur ce plan » avait-il déclaré le 22 novembre 2019 lorsqu’il quittait le sommet extraordinaire des chefs d’État de la Cemac qui s’est tenu à Yaoundé. Il a confirmé cette position un mois plus tard, alors qu’il était en visite de travail en Côte d’Ivoire.
Pour d’autres leaders comme le président congolais Denis Sassou Nguesso, « c’est une question dont on parle partout, y compris dans la presse. Mais c’est un point sensible qu’il faut aborder avec responsabilité ».
La responsabilité du Cameroun sera importante sur le dossier. En plus de présider la Cemac, le pays en est la première économie et détient les plus importantes réserves de changes sur le compte des opérations. Il n’est pas certain que Yaoundé souhaite se retrouver dans un nouveau conflit avec le grand voisin nigérian.
Idriss Linge