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Le Brexit peut-il être une chance pour l’Afrique?
L’entrée en vigueur du Brexit constitue indubitablement un tournant dans les relations entre le Royaume-Uni et ses partenaires africains. Alors que les Britanniques voient dans l’Afrique émergente des opportunités d’affaires et d’investissements, les États africains s’interrogent sur les conséquences pour leurs exportations vers la Grande-Bretagne.

Les avis diffèrent sur les conséquences duBrexit pour le continent africain. « La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne le 31 janvier 2020 sera tout bénéfice pour le Royaume-Uni comme pour ses partenaires africains », affirme l’économiste Jean-Joseph Boillot(1), qui prédit un avenir tout en « agilité » et « liberté retrouvée » pour les relations anglo-africaines trop longtemps corsetées « dans un corpus de normes généré par la lourde bureaucratie de l’Union européenne », selon le spécialiste.

Moins optimistes, d’autres observateurs se montrent plus prudents et s’interrogent sur les marges de manœuvre d’une Grande-Bretagne aux ressources limitées, débarquant sur le tard sur un continent courtisé aujourd’hui par les grandes puissances ainsi que par les pays émergents aux poches parfois particulièrement profondes. L’accélération de la croissance, l’irruption dans ses grandes villes d’une classe moyenne avide de consommer et les matières premières dont regorge le sous-sol des pays africains suscitent des convoitises. Pour occuper le terrain, la Chine, le Japon, l’Inde, la Turquie, la Russie, l’Allemagne font la course en tête avec les partenaires traditionnels de l’Afrique que sont la France et les États-Unis.

« Dans ce contexte, c’est illusoire d’imaginer que le renforcement des liens avec des pays africains, certains encore fragiles malgré le boom économique qu’ils connaissent, suffirait à compenser à court terme les pertes causées par la sortie de l’Union européenne », déclare pour sa part Alex Vines(2), responsable du programme « Afrique » au sein du think tank Chatham House, basé à Londres. « Ce sera d’autant plus difficile, ajoute le docteur Vines, que les échanges britanniques avec l’Afrique représentent seulement 2,5% du commerce extérieur du Royaume-Uni alors que les transactions effectuées avec l’Union européenne s’élèvent à quelque 50% du total des échanges britanniques. »

Culpabilité coloniale

C’est le souci de limiter l’impact du Brexit sur les exportations britanniques, doublé de la prise de conscience de son manque de visibilité sur le continent africain, qui a conduit Londres à organiser du 20 au 21 janvier 2020 le « UK-Africa Investment Forum », le premier sommet britannique consacré à l’Afrique.

Prenant la parole devant un parterre prestigieux composé de 16 chefs d’État et de gouvernement qui avaient fait le déplacement, le Premier ministre Boris Johnson a reconnu que la compétition entre les pays désireux de pénétrer le marché africain était rude, mais il a plaidé pour que son pays devienne « l’investisseur de choix » des pays africains. « Tout comme les cinq doigts d’une main ne se ressemblent pas, poursuivit-il, citant opportunément un proverbe akan ramené de son voyage au Ghana, selon lequel tous les pays ne se ressemblent pas et le Royaume-Uni peut se targuer de posséder un savoir-faire aussi vaste que profond, que les autres nations peuvent difficilement égaler. »

Selon les spécialistes, la redécouverte tardive du continent africain postcolonial par la Grande-Bretagne s’explique par les choix géopolitiques de ce pays au cours des cinquante dernières années. Ancienne puissance coloniale, Londres a privilégié au sortir de la colonisation ses liens avec l’anglosphère (les États-Unis et le Commonwealth) et avec l’Union européenne depuis qu’elle a rejoint l’ensemble européen. Pendant longtemps, elle s’est contentée de mettre en avant uniquement la dimension humanitaire de sa présence en Afrique. Le Royaume-Uni s’est en effet imposé comme l’un des principaux contributeurs d’aide au développement, notamment à travers le Fonds européen de développement, qui est le principal instrument de l’UE pour l’aide à l’Afrique. Il n’a pas su transformer sa position dominante en matière de financement du développement en influence politique ou sécuritaire.

« Contrairement à la France où la protection des intérêts de l’Hexagone dans son pré carré paraissait la chose la plus normale, dans l’Angleterre sous Labour, dans les années 1990-2000, dire que notre pays avait des intérêts en Afrique suscitait de la gêne même dans les milieux politiques, sans doute à cause de notre sentiment profond de culpabilité par rapport à la colonisation », se souvient Alex Vines. « Il a fallu attendre le retour au pouvoir des conservateurs, plus précisément Theresa May, pour que les Britanniques se réconcilient avec l’idée que leur pays a des intérêts nationaux à défendre », ajoute le chercheur.

« Ces intérêts sont essentiellement économiques », renchérit Jean-Joseph Boillot, soulignant le rôle majeur joué par le secteur privé pour garder vivace l'excellence du savoir-faire britannique sur le territoire africain. « Parmi les grosses multinationales présentes sur le marché africain, rappelle l’économiste, à peu près un tiers est d’origine britannique. BP, Shell, Barclays, Standard Life, Vodafone, pour ne citer que les plus connues. »

Quand l’Angleterre redécouvre l’Afrique

C’est sous la primature de Theresa May – qui s’est installée au 10, Downing Street dans la foulée du référendum de 2016 remporté par le camp pro-Brexit – qu’a eu lieu le grand come-back des Britanniques institutionnels en Afrique, à la faveur de la première tournée sur le continent de la cheffe du gouvernement en 2018. À la tête d’une délégation composée d’une trentaine de patrons d’entreprises, la Première ministre s’est rendue en Afrique du Sud, au Nigeria et au Kenya, trois partenaires économiques majeurs de la Grande-Bretagne sur le continent.

Cette visite a marqué un tournant dans les relations anglo-africaines. Aucun Premier ministre britannique ne s’était rendu en Afrique depuis cinq ans. Depuis trois décennies, s’agissant du Kenya qui fut la dernière escale de Theresa May. Cet oubli lui a été gentiment reproché par son hôte, le président kényan Uhuru Kenyatta, qui l'a remercié d’être venue voir de ses propres yeux « un pays et un continent qui ont tellement changé en presque quatre décennies ».

Le principal intérêt de ce voyage historique de la Première ministre conservatrice résidait dans la nouvelle impulsion que celle-ci a su donner aux relations avec les partenaires africains en posant les premiers jalons de la coopération post-Brexit entre le Royaume-Uni et l’Afrique. L’accord commercial qu’elle a signé à cette occasion avec six pays de l’Afrique australe, destiné à remplacer ceux en vigueur dans le cadre du marché unique européen en est un. Depuis, ces accords, baptisés « accords de continuité », sont devenus la règle sur le continent, avec 12 accords du même type signés par les autorités britanniques et d’autres en cours de négociation avec les partenaires africains importants tels que le Kenya, le Ghana et l’Égypte. Ces accords garantissent que pendant la période de transition, après l’entrée en vigueur effective du Brexit, les relations commerciales entre le Royaume-Uni et les États signataires resteront inchangées.

Si la visite de Theresa May est restée dans les annales, c’est aussi parce que, survenue dans la foulée d’une décision parlementaire majeure (« Africa Uplift Strategy ») augmentant considérablement les moyens de la diplomatie africaine du Royaume-Uni, elle a permi à la Première ministre d'attirer l'attention de ses partenaires sur le sérieux avec lequel son gouvernement réfléchissait à la refondation de ses relations avec le continent.

« Depuis, comme le souligne Alex Vines de la Chatham House, le gouvernement britannique a recruté plus de 400 hommes et femmes spécialisés dans des domaines aussi divers que le commerce international, la sécurité et l’économie du développement pour renforcer son réseau diplomatique africaniste. La désignation d’une commissaire dédiée spécifiquement aux échanges et investissements panafricains (Emma Wade-Smith), au sein du département britannique du Commerce international, tout comme l'ouverture de nouvelles ambassades britanniques en Afrique, s’inscrit dans l'ambition du gouvernement de vouloir redynamiser sa stratégie africaine. »

Forces et faiblesses

Imaginé par Theresa May et mis en œuvre par son successeur, le sommet Royaume-Uni-Afrique, qui s’est tenu à deux semaines de l’échéance fatidique du 31 janvier 2020, relève de la même logique de redynamisation des relations. Paradoxalement, ce sommet a surtout révélé les insuffisances de l’offre commerciale et économique britannique à l’intention du continent africain, dont il devait être la vitrine.

« Il fut frustrant de constater, a regretté un participant, que l’essentiel des investissements promis soit destiné aux domaines extractifs et financiers, alors que la technologie africaine qui, a le vent en poupe, attend des financements pour se développer. » En effet, sur le total de 7,6 milliards d’euros de promesses d’investissements privés générés par le sommet, seulement 65 millions d’euros étaient destinés aux secteurs technologiques, notamment aux infrastructures de connexion, la formation et la cybersécurité.

S’agissant des futures relations avec le continent, les organisateurs du sommet se sont contentés de répéter que celles-ci seront en mode « turbo » grâce aux accords de continuité signés par les principaux partenaires économiques du Royaume-Uni et à l’accès préférentiel au marché britannique promis à la plupart des pays africains. Quant à la question de savoir si les États africains pourraient obtenir de meilleures conditions pour exporter davantage, elle est restée sans réponse. Comme l’a été, par ailleurs, la demande réitérée par les dirigeants africains à leur homologue pour un deal panafricain pour les marchandises et les services, qui soit plus généreux que les accords de partenariat régionaux proposés par l’Union européenne. Bref, les chefs d'État invités à Londres sont rentrés bredouilles sans vraiment savoir si le Brexit sera bénéfique à leurs économies !

Pour Alex Vines, la politique d’attribution ou plutôt de non-attribution systématique de visas aux demandeurs africains demeure le principal obstacle au projet du Premier ministre britannique de faire de son pays un « investisseur de choix » sur le continent. « Sans un assouplissement total du régime de visas, comme l’a promis Boris Johnson pendant son discours inaugural du sommet, les déclarations solennelles des officiels de faire du Royaume-Uni une île ouverte au monde risquent de rester lettre morte », affirme le chercheur.

Source: RFI