Story

Actualités  | Comment les grandes puissances espèrent tirer profit de la ''nouvelle ruée vers l'Afrique''? Accueil - AV+
 
Actualités   Politique People Sport Finance Gospel Music Life Style Vidéos Bien Être Cuisine Voyage Tech et Science
Comment les grandes puissances espèrent tirer profit de la ''nouvelle ruée vers l'Afrique''?
Les grandes puissances se bousculent pour avoir une influence politique et économique en Afrique, mais qu'est-ce qui se cache derrière ce regain d'intérêt pour le continent ? Dickens Olewe de la BBC tente de répondre à la question.

Ces dernières années, les Africains se sont habitués à voir leurs dirigeants accumuler des miles aériens tout en honorant des invitations à participer à une série de sommets sur le thème de l'Afrique organisés dans le monde entier, souvent annoncés comme des partenariats gagnant-gagnant.

L'année dernière, le Japon, la Russie et la Chine ont accueilli des présidents et des chefs de gouvernement africains ; le mois dernier, 15 dirigeants africains ont participé au sommet sur l'investissement entre le Royaume-Uni et l'Afrique à Londres, et des invitations ont probablement déjà été envoyées pour des événements similaires qui seraient prévus en France, en Arabie Saoudite et en Turquie cette année.

L'Afrique a sans doute des richesses qui attirent.

Des riches ressources minérales, des terres agricoles inexploitées, 54 voix influentes aux Nations unies, sa population en pleine expansion, un acteur majeur face à la menace croissante du terrorisme dont elle aussi victime.

Mais c'est aussi l'incertitude et l'immigration économique que certains disent raciste et plusieurs autres problèmes d'ordre socio-économique…mais cela n'empêche pas les grandes puissances de vouloir flirter avec le continent.

''Le monde doit s'engager et aider à résoudre les problèmes de l'Afrique, qui, tôt ou tard, deviendront des problèmes mondiaux'', a soutenu l'économiste zambienne Dambisa Moyo dans son article de 2018 intitulé : ''La menace africaine''.

''Il n'y a jamais eu un besoin aussi grand d'engagement international constructif sur le continent. En outre, l'économie mondiale pourrait tirer des bénéfices importants d'un engagement positif'', a écrit Dr Moyo.

Le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, est du même avis, déclarant lors d'une récente visite aux États-Unis que l'Afrique est ''plus qu'un continent produisant des menaces pour la sécurité ou des migrants illégaux qu'il faut contenir'', mais qu'elle offre des opportunités d'investissement au monde entier.

Toutefois, il a mis en garde contre la compétition frénétique entre la Chine, les États-Unis, la Russie et d'autres pays :

''J'ai remarqué que les échanges entre les pays occidentaux et leurs homologues en Asie et au Moyen-Orient se résument à une compétition sur l'Afrique, dans certains cas... se comporter comme si l'Afrique était à prendre... Eh bien, je tiens à vous dire que ce n'est pas le cas'', a ajouté M. Kenyatta.

Mais l'Afrique a-t-elle un plan ?

En 2013, les dirigeants africains, sous l'égide de l'Union africaine (UA), se sont mis d'accord sur un plan pour relever les innombrables défis auxquels le continent est confronté. Ce plan a été baptisé ''Agenda 2063''.

Il définit une vision, entre autres, pour mettre fin aux guerres sur le continent, développer les infrastructures et permettre la liberté de mouvement sur le continent.

Un autre projet phare, la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA/AfCTA), le plus grand pacte de libre-échange au monde en termes de pays impliqués, devrait améliorer et stimuler le commerce entre les nations africaines.

Toutefois, les critiques affirment que la ZLECA, qui entrera en vigueur en juillet, n'est pas une panacée et qu'il se heurte à de gros obstacles, notamment les politiques protectionnistes et les mauvaises infrastructures de transport dans les États membres.

Projets phares de l'Agenda 2063

Relier toutes les capitales et les centres économiques africains par un réseau de trains à grande vitesse

Accélérer le commerce intra-africain et renforcer la position commerciale de l'Afrique sur le marché mondial

Le développement du barrage d'Inga en RD Congo pour produire 43 200 MW d'électricité

Supprimer les restrictions imposées aux Africains pour voyager, travailler et vivre sur leur propre continent

Mettre fin à toutes les guerres, aux conflits civils, à la violence fondée sur le sexe, aux conflits violents et prévenir les génocides

Création d'un marché unique africain du transport aérien (Saatm)

Renforcer l'industrie spatiale africaine

Créer une université virtuelle et électronique africaine

Développer une encyclopédie africaine (encyclopaedia Africana) pour fournir une ressource faisant autorité sur l'histoire authentique de l'Afrique et de la vie africaine

Cependant, l'UA a du mal à mettre en œuvre l'Agenda 2063 car l'organisation n'a pas l'influence de la carotte et du bâton pour inciter les pays membres à respecter les plans convenus, déclare W Gyude Moore, ancien ministre des travaux publics au Liberia.

Il affirme qu'avec de nombreux pays africains de plus en plus criblés de dettes et utilisant leurs ressources pour rembourser des prêts étrangers, ils se sont détournés des priorités de l'Agenda 2063.

Il affirme qu'ils devraient profiter de l'intérêt accru pour le continent pour trouver des moyens abordables d'améliorer les infrastructures de transport, en particulier les routes, afin d'aider à stimuler leurs économies.

Alors que l'Agenda 2063 fait une large place au train à grande vitesse, les routes sont le mode de transport prédominant en Afrique, assurant le transport d'au moins 80 % des marchandises et 90 % des passagers, selon la Banque africaine de développement (BAD).

Le mauvais état des infrastructures routières dans 49 pays d'Afrique subsaharienne a conduit à couper les populations d'un accès à l'éducation de base, aux services de santé, aux centres commerciaux et aux opportunités économiques, selon la BAD.

''Seulement 43 % des routes en Afrique sont bitumés et 30 % d'entre elles se trouvent dans un seul pays : Afrique du Sud'', déclare M. Moore, qui est actuellement Senior Policy Fellow au Centre pour le développement mondial aux États-Unis.

''Il est presque impossible de construire une société et une économie modernes sans routes'', déclare M. Moore.

Il donne un exemple de la crise Ebola de 2014 en Afrique de l'Ouest, qui s'est produite pendant la saison des pluies. ''Ce qui a commencé comme une crise sanitaire était en fait une crise d'infrastructure'', dit-il.

''Le prélèvement sanguin du patient au laboratoire n'avait plus de valeur à cause du temps qu'il a fallu'', ajoute-t-il.

M. Moore affirme que la recherche et l'investissement dans la construction de routes bitumés pouvant résister à de fortes saisons des pluies transformeraient le continent.

L'Indice Mo Ibrahim de la gouvernance africaine (IIAG) est également ambivalent quant aux objectifs de l'Agenda 2063.

Le milliardaire Mo Ibrahim, fondateur de l'IIAG, a déclaré lors de l'examen du rapport de l'indice 2019, qu'il y avait une ''pauvreté des données'' dans la mesure des progrès sur le continent.

''Il n'est pas bon de fixer de merveilleux objectifs si vous ne pouvez pas les mesurer... l'agenda de l'Union africaine a 255 objectifs, près de la moitié ne sont pas quantifiables'', ajoute-t-il.

Un autre handicap auquel plusieurs pays africains sont confrontés est l'absence d'une bureaucratie efficace au sein du gouvernement, a déclaré à la BBC Dr Ken Opalo de l'Université de Georgetown.

Selon lui, les pays démocratiques africains peuvent apprendre quelque chose de la Chine.

''Ce qui fait le succès de la Chine, ce n'est pas l'autocratie, c'est l'efficacité bureaucratique... la capacité à élaborer et à mettre en œuvre la politique du gouvernement ne tombe pas en ordre quand vous n'avez pas des élections libres. Il est donc ridicule, à l'heure actuelle, de s'attendre à ce que les choses changent dans des pays comme le Soudan du Sud, la RCA ou même le Malawi'', ajoute M. Opalo.

L'UA admet qu'il y a eu des difficultés et elle prévoit de mettre en place une plate-forme pour lui permettre de suivre au mieux la mise en œuvre des objectifs de l'Agenda 2063, a déclaré récemment le vice-président de l'organisation, Quartey Thomas Kwesi.

''Nous accueillons également les critiques'', a-t-il ajouté.

Créer des emplois

Curieusement, le problème le plus urgent de l'Afrique, le chômage des jeunes, ne figure pas dans la liste des projets phares de l'Agenda 2063 mais, selon les responsables de l'UA, tous les projets visent à créer un environnement propice à la création d'emplois.

La population de l'Afrique devrait doubler d'ici 2050 pour atteindre 2,2 milliards d'habitants, selon les projections de la division de la population des Nations unies, ce qui fera pression sur les gouvernements pour qu'ils créent des emplois significatifs.

Autre statistique inquiétante : alors que les niveaux de pauvreté dans le monde diminuent, ils augmentent en Afrique, selon la Fondation Bill & Melinda Gates.

L'organisation prévoit que le Nigeria et la République démocratique du Congo abriteront ensemble 44 % des personnes les plus pauvres du monde dans 30 ans si les tendances actuelles se poursuivent.

Le secteur agricole qui, dans la plupart des pays d'Afrique, offre la meilleure possibilité de sortir des millions de personnes de la pauvreté est largement inexploité et ralenti par le manque d'investissements, déclare M. Opalo.

Pris au piège du désespoir et de la détresse, de nombreux jeunes se sont installés dans les villes.

''Nous avons maintenant une urbanisation galopante sans emplois, et au lieu d'investir dans l'industrie manufacturière, nous voyons se construire des villes de grande consommation. Elles fournissent des emplois mais dépendent de l'importation'', déclare M. Opalo.

C'est un autre défi à multiples facettes auquel le continent doit faire face.

Dr Moyo demande de façon provocante dans son article de 2018 : si le monde n'avait plus jamais à entendre parler de l'Afrique, est-ce que ça intéresserait quelqu'un?

La nouvelle ruée vers l'Afrique suggère que la réponse est oui.

''L'évolution de la population africaine et le développement des économies du continent affecteront presque tout ce que les gens d'ici et d'ailleurs supposent de leur vie aujourd'hui'', a écrit récemment le spécialiste de l'Afrique Howard French.

Le défi pour les dirigeants africains est de faire correspondre leur rhétorique à des plans réalisables et mesurables, affirment M. Opalo et M. Moore.

Ils ajoutent que les dirigeants devraient négocier des concessions politiques qui correspondent à leurs priorités au lieu d'accepter des accords et des transactions à court terme qui sont souvent proposés lors des sommets désormais populaires sur le thème de l'Afrique.

Source: BBC